Les abus sexuels dans la Compagnie de Jésus désignent les sévices sexuels commis au sein de cette institution par certains de ses clercs et agents pastoraux.
Historique
L'historien et théologien Ulrich L. Lehner (en) de l'université de Notre-Dame-du-Lac, auteur d'un livre sur les abus sexuels chez les Jésuites aux 17e et 18e siècles, explique que les cas d'agressions sexuelles sur des élèves par des Jésuites étaient dissimulés et en général les agresseurs étaient transférés ailleurs[1].
Amérique
Canada
En 2019, les Jésuites canadiens s'engagent à indiquer les noms des prêtres accusés d’agressions sexuelles. Selon la Compagnie de Jésus, l'essentiel des plaintes concernent les deux jésuites George Epoch et Norman Hinton. Ces derniers sont décédés depuis plus de 25 ans[2].
En mars 2023, pour « rétablir la confiance » et s’engager « en faveur de la transparence et de la responsabilité », une liste de 27 Jésuites est publiée. Plusieurs d'entre eux ont travaillé dans des écoles, dont les collèges Loyola et Jean-de-Brébeuf, à Montréal, et le collège Saint-Charles-Garnier, à Québec. D'autre sont intervenus dans les pensionnats pour Autochtones ou directement dans les communautés autochtones[3]. Tous les hommes nommés dans cette liste, sauf trois, sont morts. Dans la plupart des cas, les agressions ont été révélées après le décès de l’agresseur présumé ce qui implique que les affaires ne peuvent faire l’objet d’un procès pénal ou civil. Ceux qui sont encore en vie sont maintenus sous stricte surveillance[4]. La Compagnie de Jésus a fait le choix de publier publiquement la liste nominative[5] répondant à une demande des groupes de défenses des victimes et démontrant ainsi une volonté de reconnaître la gravité du traumatisme des victimes et contribuer au rétablissement de la confiance[6].
Chili
En 2021, les Jésuites rendent public un rapport indiquant que 11 prêtres ont agressé sexuellement 64 victimes[7].
États-Unis
En 2007, dans les zones rurales d'Alaska, 110 victimes alléguées d'abus sexuels ont reçu en dédommagement 50 millions de dollars. Les principaux dossiers concernaient douze prêtres et trois missionnaires accusés d'abus sexuels envers des enfants dans les villages d’autochtones de 1961 à 1987[8],[9].
En 2018, les jésuites américains indiquent le nom de plus de 200 prêtres qui font l'objet d'« accusations crédibles » d'agressions sexuelles[8]
Europe
Allemagne
En 2010, les responsables des Jésuites allemands, reçoivent le rapport de l'avocate Ursula Raue missionnée pour établir la liste des victimes de violences ou d'agressions sexuelles par les membres de la Compagnie de Jésus. Les Jésuites envisagent d'indemniser les 205 victimes signalées[10].
Belgique
En février 2024, la Compagnie de Jésus d’Europe Occidentale Francophone indique que, de 1949 à nos jours, en Belgique francophone, 38 jésuites se sont rendus coupables d’agression (psychique, spirituelle, morale, physique ou sexuelle), dont 32 identifiés pour des agressions sexuelles : 25 sur personnes mineures et 10 sur personnes majeures (certains jésuites ont agressé à la fois des mineurs et des majeurs ce qui explique la répartition des nombres) [11].
Espagne
En 2018, les Jésuites décident une enquête dans huit écoles en Catalogne, il s'agit d'« une enquête systématique sur les possibles cas d’abus sur mineurs dans les centres éducatifs depuis les années 1960 »[12].
En 2021 en Espagne, la Compagnie de Jésus signale 81 victimes. Les identités des victimes et de leurs agresseurs ne sont pas rendues publiques. En échange de ces indemnités les victimes doivent signer un document de confidentialité qui les oblige à taire cette transaction. Ainsi le quotidien El País indique qu'Alfonso Caparrós, violé dans les années 1950 par un Jésuite dans un collège à Málaga, a reçu une proposition financière pour ne plus faire état publiquement des agressions subies. L'enveloppe financière varie en fonction de la nature des agressions de 5 000 euros pour des « attouchements sexuels légers » jusqu'à 15 000 euros pour des viols récurrents[13],[14].
France
En 2019 en France, la Compagnie de Jésus indique que sur la période 1950-2019, 19 prêtres jésuites sont signalés par des témoignages pour abus sexuels en particulier dans des établissements scolaires , 3 d'entre eux sont condamnés par la justice[15].
En février 2024, en France, la Compagnie de Jésus indique que de, 1949 à nos jours, 113 jésuites se sont rendus coupables d’agression (psychique, spirituelle, morale, physique ou sexuelle), dont 95 jésuites identifiés pour des agressions sexuelles : 61 sur personnes mineures et 34 sur personnes majeures[16].
Chronologie d'affaires
Afrique
Afrique du Sud
William MacCurtain, un prêtre jésuite britannique, a agressé sexuellement un enfant en Afrique du Sud entre 1986 et 1989. Il le viole à plusieurs reprises dans l’enceinte même de la cathédrale du Christ-Roi de Johannesburg. Une fois sa hiérarchie informée, William MacCurtain est renvoyé en Angleterre sans jugement[17].
Amérique
Bolivie
Le quotidien espagnol El País révèle l'affaire du jésuite, Alfonso Pedrajas (es), qui indique dans son journal intime l'abus de 80 mineurs en Bolivie. Huit plaintes ont été déposées contre des prêtres de la Compagnie de Jésus, dont Alfonso Pedrajas et trois autres religieux espagnols : Luis Maria Roma, Alejandro Mestre et Antonio Gausset, tous décédés[18].
Canada
- Léon Lajoie (1921-1999) a travaillé à Kahnawake pendant plus de 30 ans. À sa mort, il est enterré au sein de la Mission Saint-François-Xavier. En 2021, des accusations d’abus sexuels à l'égard d'enfants sont révélées. Les Jésuites canadiens missionnent une société afin d'examiner la véracité des allégations, ces dernières ne sont pas prouvées selon le rapport de cette société. Cependant les membres de la communauté des Mohawks décident, lors d'un vote, d’exhumer le corps du Jésuite pour le placer dans un cimetière hors du territoire mohawk. Le déplacement des restes s'est effectué en août 2022[19].
Chili
- Renato Poblete, ancien aumonier de Hogar de Cristo (en) et décédé en 2010, est cité pour l'agression de 22 femmes entre les années 1960 et 2000. Quatre d'entre elles étaient mineures à l'époque des faits dont une enfant de trois ans. Une des victimes a été forcée d'avorter à plusieurs reprises[7],[20].
- Eugenio Valenzuela Lang, ancien provincial des Jésuites du Chili, est renvoyé de l'état clérical en 2019 après des accusations d'abus sexuels sur des personnes majeures[21],[22].
États-Unis
- Donald McGuire (1930 - 2017) est un prêtre jésuite américain laïcisé et agresseur d'enfants à partir des années 1960. Avant sa condamnation, McGuire était un membre éminent de la Compagnie de Jésus et confesseur de Mère Teresa. Il est décédé en 2017, alors qu'il purgeait une peine de 25 ans de prison[23].
- James Talbot est inculpé pour avoir abusé de trois élèves au sein du Boston College High School (en)[24],[25]. En 2005, il est condamné à 7 ans de prison après avoir plaidé coupable pour l'agression de deux adolescents au Boston College dans les années 1970[26].
- Bernard Knoth est un prêtre jésuite de la Province de Chicago connu pour son travail d'éducateur. En 2003, neuf ans après avoir occupé le poste de président de l'université Loyola de Chicago, il est accusé d'avoir abusé sexuellement d'un lycéen en 1986 à Brebeuf Jesuit Prep à Indianapolis, où il a été directeur de 1986 à 1988. Il est laïcisé en 2009[27].
- En 2021, J. Donald Freeze (en), ancien responsable de l'université de Georgetown, est accusé par un étudiant de premier cycle d'agressions sexuelles. À la suite de cette première dénonciation d'autres diplômés formulent des allégations similaires. L'université a retiré les titres honorifiques de Freeze[28],[29].
Europe
Allemagne
En , le père Klaus Mertes, supérieur du collège jésuite Canisius-Kolleg Berlin, déclare que de nombreuses agressions sexuelles sur des mineurs ont eu lieu, dans l'établissement, dans les années 1970 et 1980. « Trois anciens élèves des années 1970 sont venus me voir. De leurs histoires, j'ai conclu qu'un certain prêtre avait sûrement à lui seul abusé de plus d'une centaine d'enfants. Cela semblait systématique ». D'autres révélations suivent : entre janvier et , des affaires anciennes de pédophilies sont dévoilées dans 19 diocèses sur 27. Entre janvier et , 170 plaintes sont déposées[30],[31].
Belgique
- En septembre 1959, Jean-Marc Turine a 13 ans et intègre le collège Saint-Michel situé à Etterbeek (Bruxelles). Il y subi des agressions sexuelles et des viols par plusieurs prêtres jésuites pendant toutes son adolescence. Il pense alors à mourir : « Et c’est ça qu’ils amènent à faire, ces types. Ils amènent à nous tuer. Et s’ils ne nous tuent pas physiquement, ils nous tuent quand même. Nous sommes morts. Quand on sort de leur chambre, nous sommes morts. Morts. […] Je crois que nous sommes tous des survivants ». C'est uniquement en 2022 qu'il relate cette partie de sa vie dans son ouvrage Révérends pères. Depuis ce témoignage quatre autres personnes ont porté plainte pour des agressions sexuelles. Bruno Tackels est l'un des plaignants : « Beaucoup de pratiques sombres ont été gardées silencieuses, Turine a pris soixante ans, j’ai gardé le silence pendant quarante ans. ». L’ordre des Jésuites appelle les anciens élèves victimes de pédophiles au sein de l'établissement à se signaler[32],[33].
- En 2011, le jésuite flamand Luc Versteylen, cofondateur du mouvement vert en Belgique, Agalev, est accusé d'abus sexuels dans les années 1980 sur des jeunes dans le centre de réflexion "Leven in de Brouwerij" à Viersel, dont il est le fondateur. À la suite de ces accusations par plus de trente personnes[34], l'association demande qu'il démissionne[35],[36]. Les plaintes sont classées sans suite, pour cause de prescription. Versteylen a nié ces agressions.
Espagne
José Luis Martín Vigil est un prêtre jésuite et célèbre écrivain espagnol dans les années 1960 et 1970[37]. Il est exclu des jésuites, en 1958, alors qu'il est l'objet de plusieurs plaintes pour son comportements déplacés avec des adolescents[38].
France
- En 2015, Dominique Peccoud, ancien directeur des études du lycée privé Sainte-Geneviève à Versailles, puis de l’École d'ingénieurs de Purpan à Toulouse et conseiller au sein de l'Organisation internationale du travail, est condamné à deux ans de prison avec sursis pour abus sexuels sur mineurs. À la demande de sa hiérarchie, il s'est dénoncé en indiquant des agressions sexuelles sur neuf enfants[39],[40].
- En 2016, un ancien élève du Lycée Saint-Louis-de-Gonzague à Paris, Jean-Pierre Martin-Vallasse, scolarisé dans l'établissement jésuite au cours des années 1950 et 1960, déclare publiquement avoir été victime à l'âge de huit ans des agissements pédophiles du prêtre Gilbert Lamande lors d'une colonie de vacances organisée par le lycée. À partir de 2010, il recueille plusieurs témoignages et réclame une enquête au père Jean-Yves Grenet, responsable des Jésuites de France, obtenant une fin de non-recevoir. Jean-Pierre Martin-Vallasse rapporte : « Le Provincial a répondu : "J'estime que quarante ans après ces faits, ces enfants doivent avoir trouvé un équilibre de vie satisfaisant, qu'il n'y a pas lieu de les perturber. De plus, ce prêtre étant mort, il n'y a aucun intérêt à faire une enquête ». En 2014, Jean-Pierre Martin-Vallasse sollicite le Vatican et obtient la création d'un « groupe d'accueil et de veille pour les situations d'abus sur les personnes »[41],[42]. Dans le contexte de l'affaire Barbarin, la décision de Jean-Yves Grenet évolue en se déclarant plus apte à l'écoute mais il n'engage pas une enquête interne[43].
Slovenie
Marko Ivan Rupnik est accusé d’agressions sexuelles par neuf religieuses de la communauté de Loyola en Slovénie dont Marko Rupnik fut l’accompagnement spirituel et de gestes déplacés et d’abus spirituels par deux autres femmes. Une première femme l'a accusé en 1998. Puis une deuxième au début de l'année 2020. Il est démis de sa fonction de directeur du centre Aletti en 2020. En 2021, des signalements ont été transmis auprès du dicastère pour la Doctrine de la Foi pour « violences sexuelles et psychologiques ». L’ordre des jésuites a pris des sanctions disciplinaires à son encontre : il ne doit plus confesser, accompagner spirituellement et prêcher des retraites. Tout enseignement ou engagement public doit être validé par sa hiérarchie[44],[45]. Le , il est renvoyé de la Compagnie de Jésus « en raison de son refus obstiné d’observer le vœu d’obéissance »[46].
Prévention et de réparation des abus
Europe
Province d'Europe occidentale francophone (France, Belgique, Grèce, Île Maurice)
- Une page Web[47] ainsi qu'une adresse de contact de la cellule d'accueil et d'écoute des victimes de tous types d'abus perpétrés par des jésuites, vivants ou morts, sont en place. Un document (rédigé en 2016) sur 'la prévention et les actions à mener' y est consultable[48].
- La cellule d'accueil et d'écoute des victimes est aussi chargée de proposer chaque année, avec l'aide professionnels, une formation et une sensibilisation aux questions d'abus et de prévention, aux jésuites de la Province. Cela passe par l'écoute ou la lecture de témoignages de victimes, par une formation continue sur l'affectivité et la mise en place de protocoles à suivre pour assurer un environnement sûr dans les lieux de mission. (Centres spirituels, établissements scolaires, accompagnement spirituel...)
- À la suite de la publication du rapport de la CIASE[49], la Conférence des Religieux et Religieuses en France[50] a souhaité la mise en place d'une Commission Reconnaissance et Réparation[51] (CRR). Celle-ci permet aux victimes de faire le récit de leur agression et d'envisager avec la CRR des réparations financières et non financières par l'institut ou la congrégation de l'agresseur.
Références
- Annalena Müller (trad. de l'allemand par Raphaël Zbinden), « Ulrich L. Lehner: « L'abus sexuel n'est pas un problème moderne » », cath.ch, (lire en ligne, consulté le )
- Agence France-Presse, « Les Jésuites canadiens promettent de révéler les noms des prêtres accusés d’abus sexuels », Radio Canada, (lire en ligne, consulté le )
- Magdaline Boutros, « Les Jésuites du Canada publient une liste de leurs membres soupçonnés de pédophilie », Le Devoir, (lire en ligne, consulté le )
- Sidhartha Banerjee, La Presse Canadienne, « Liste de 27 jésuites visés par des allégations d'agression sexuelle depuis 70 ans », sur L’actualité, (consulté le ).
- « Jésuites du Canada –provinces anglaise et française Ont fait l’objet d’allégations crédibles d’abus de personne mineure », sur jesuites.ca (consulté le ).
- « Publication des noms de jésuites accusés de manière crédible d'abus sexuels sur mineurs », sur Canada Province (consulté le ).
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- « Commission Reconnaissance et Réparation » (consulté le ).
Bibliographie
- Jean Marc Turine, Révérends pères, Esperluète éditions, .
- Ulrich L. Lehner (trad. Une chasteté de façade – crimes sexuels dans la Compagnie de Jésus aux 17e et 18e siècles), Inszenierte Keuschheit– Sexualdelikte in der Gesellschaft Jesu im 17. und 18. Jahrhundert, Walter de Gruyter, (ISBN 978-3-111-31114-2)