Les drag kings (terme anglais construit en miroir de drag queen) sont des personnes construisant une identité masculine volontairement basée sur des archétypes de façon temporaire le temps d'un jeu de rôle ou drag. Ces personnes peuvent revendiquer toute identité de genre et orientation sexuelle. Les drag kings construisent leur identité à travers la masculinité, au cours d'un spectacle ou d'ateliers.
Le mouvement, qui trouve son origine aux débuts du XXe siècle chez les garçonnes, est une volonté, souvent issue du mouvement du féminisme radical, de refuser les stéréotypes de genre. Si les drag kings manifestent par leur apparence physique leur appartenance au genre masculin, ils ne sont pas nécessairement transgenres.
Etymologie
[modifier | modifier le code]Diane Torr fait remonter l'origine du mot drag king au maquilleur et musicien Johnny Science (1955-2007) qui organise des salons drag king chez la performeuse post-porn queer et sexologue Annie Sprinkle[1].
Selon l'époque, le terme a pu se confondre avec d'autres. Dans les années 1940-1950, les performances de masculinité des lesbiennes sont appelées male impersonator[2]. Il s'agit d'une branche différente, car les drag kings ne suivent pas les techniques d'acting de l'Actor's Studio, mais sont plutôt dans une pratique créative et une poésie d'opprimé. Dans les années 1970, le terme de drag king sert également à désigner les butchs[3].
Le terme apparaît pour la première fois à l'écrit en 1972[4].
Historique
[modifier | modifier le code]Premières traces
[modifier | modifier le code]Si le terme de drag king est employé à l'écrit pour la première fois en , des pratiques de travestissement au masculin existent tout au cours de l'histoire dans le monde entier[5].
Le travestissement des femmes pour des raisons économiques ou accéder à des métiers qui leur étaient interdits présente plusieurs occurrences dans l'histoire : aux États-Unis pour participer à la conquête de l'Ouest, pour servir comme Pirates, marins, militaires, politiques, vivre avec une autre femme, voire l'épouser[6].
En Chine, il est documenté pour la première fois des « personnages hommes féminins » (voir les rôles Sheng (en)), lors de la dynastie Tang, entre et : les femmes jouent des hommes dans des représentations scéniques[7]. Ces pratiques se poursuivent jusqu'au début de la dynastie Qing : l'empereur Qianlong interdit aux actrices de se produire en [7]. Elle est relancée à la fin des XIXe et XXe siècles lorsque l'interdiction est assouplie[7].
XIXe siècle
[modifier | modifier le code]Des femmes se travestissent au théâtre et à l'opéra dès le XVIIIe siècle[8]. En , la mime et danseuse française Madame Céleste interprète Hamet, un jeune garçon arabe, dans la pièce Victoire! au théâtre Adelphi à Londres[9]. La première travestie célèbre aux États-Unis est Annie Hindle, qui se met en scène à New York à partir de [10]. En , elle épouse sa styliste, Annie Ryan[11]. La comédienne française Sarah Bernhardt interprète de nombreux rôles masculins dont celui d'Hamlet à partir de [12].
Pendant la Belle Époque en France, des femmes se rendent habillés en hommes à moustache aux bals de Carnaval[13]. Plusieurs personnalités également le font : Claude Cahun, George Sand, Madeleine Pelletier, Violette Morris, Rosa Bonheur[6]. L'artiste femme racisée la mieux payée est alors la chanteuse et drag king Florence Hines (en) qui performe au Creole Brulesque de Sam T. Jack et en devient le maître de cérémonie au style dandy de à [14].
XXe siècle
[modifier | modifier le code]Des travesties britanniques célèbres sont Vesta Tilley, Bessie Bonehill (en), Ella Shields (en) et Hetty King[15],[16]. Des années 1920 aux années 1940, la chanteuse Gladys Bentley joue à New York, Los Angeles et San Francisco habillée en homme. Dans les années 1950 et 1960, Stormé DeLarverie est maître de cérémonie et chanteur pour accompagner une troupe de drag queens à la compagnie du Jewel Box Revue[17]. En , La Rue est le premier drag king à apparaître à la Royal Variety Performance[18].
En , le mot drag king est utilisé pour la première fois sur un support écrit[5]. Il inclut parfois des personnes à corps féminin qui s'habillent de façon masculine, sans but de spectacle. Des femmes modernes choisissant de porter un costume, une cravate, une veste d'homme ou encore un chapeau d'homme ne sont pas des drag kings.
Années 1990
[modifier | modifier le code]En , la performeuse dragking Diane Torr dite « Tornade » et la sexologue-artiste Annie Sprinkle fondent les Drag King Workshops pour apprendre aux femmes à se déguiser et performer la masculinité pour la vie quotidienne[19],[20],[21]. En , elle apparaît dans le film Venus Boyz (de)[22].
En , trois ans après la création des ateliers, est donné le premier bal Drag King à New York. Et en se tient le premier concours Drag King lors du Festival international du cinéma gay et lesbien à Londres[1]. On considère que le premier spectacle donné aurait eu lieu à New York, dans le bar Henriette Hudson en [3].
Dans les années 1990, les spectacles et ateliers les plus connus ont lieu au Club Casanova à New York, au Club Geezer à Londres, au Baybrick Inn et Club Confidential à San Francisco tenus par des figures comme Elvis Herselvis (Leigh Crow), Mo B. Dick, Manolo (Shelley Mars), Murray Hill, Dred, Diane Torr. On peut penser en à la Une de Vanity Fair où la chanteuse K.D. Lang habillée en homme se fait raser la barbe par Cindy Crawford[6].
XXIe siècle
[modifier | modifier le code]Les années 2010 voient se développer davantage les dragkings dans les grandes villes. En mai 2008, le magazine Têtu publie l'article « Drag King : Do it yourself ». En aux MTV awards, la pop star Lady Gaga fait un show en Joe Calderone[23].
Techniques
[modifier | modifier le code]Maquillage
[modifier | modifier le code]Pour faciliter la lecture du genre masculin, une des étapes essentielles est celle d'apporter de la pilosité sur le visage[24],[25],[26],[27],[28],[29],[30],[31]. La pilosité faciale est imitée par du mascara, surnommé menscara, de mascara et men, hommes en anglais, du liner ou par des morceaux de cheveux ou perruque collés sur le visage[32].
Avec des sticks de contouring de différentes couleurs, les drag kings accentuent leurs mâchoires, l'arête de leur nez et leurs arcades sourcilières, les rendant saillantes. Aux États-Unis, il peut arriver que certains drag kings utilisent des mèches de leurs propres cheveux à cet effet pour plus de réalisme[33].
Vêtements
[modifier | modifier le code]Le look dandy est très prisé, les artistes drag kings utilisent largement les vestes de costumes et les chemises[6]. Les vêtements font également l'objet de beaucoup d'attention. Par exemple, les drag kings portent des hauts qui donnent un air plus carré à leurs épaules[33].
Modifications corporelles
[modifier | modifier le code]Les drag kings utilisent le plus souvent les techniques du bandage de la poitrine dite « binding » (un binder ou des straps). La première technique consiste à réduire ses seins de façon temporaire en la serrant avec des bandes de tissus[32]. Une alternative permet d'utiliser du ruban adhésif de bondage pour amener les seins sous les aisselles, l'intérêt de ce scotch précis étant qu'il n'abîme pas la peau[33]. Certains drags simulent la présence d'un pénis dans le pantalon, le « packing » : chez les drag kings débutants il est utilisé des chaussettes ou préservatifs remplis de cotons ou gel, tandis que des modèles en silicone plus réalistes existent pour les plus expérimentés[32].
Comportement
[modifier | modifier le code]Vient ensuite l'adaptation du comportement : les drag kings adoptent souvent une masculinité exagérée et stéréotypées, jouant avec les clichés sur les attitudes masculines[34]. Le jeu d'attitude est sur la façon de marcher et les performances sont principalement sur des musiques à voix masculines. Par exemple, ils s’assoient en position de manspreading[32]. La parodie voit parfois jusqu'à des scénarios irréalistes : un drag king énonce posséder des attributs génitaux masculins et ensuite les sort littéralement d'une valise déconnecté de tout ; ou encore un drag king se plaint d'avoir des poils qui lui poussent partout, même jusque sur les ongles relevant ainsi de l'humour absurde[6]. D'autres par ailleurs décident de jouer avec les codes et de présenter une figure masculine soumise, fragile et docile[33].
Dichotomie avec les drag queens
[modifier | modifier le code]Les drag kings n'utilisent pas autant la pratique camp, littéralement « poser », entre flamboyance et ironie, mais davantage l'understatement, c'est-à-dire l'auto-réflexivité politique. Le kinging serait une nouvelle pratique esthétique, performative et politique de la sub-culture butch fem parodiant la masculinité blanche petite bourgeoise qui se caractériserait par un manque de « naturel » de performativité[35].
Concours de drag kings
[modifier | modifier le code]Il existe des concours de drag kings, dont notamment celui organisé à Londres dès 1995[36] et le Concours de drag king de San Francisco dès 1994[37],[38].
Dans la culture
[modifier | modifier le code]- 1999 : Publication de The Drag King Book de Volcano et Halberstam
- 2001 : Venus Boyz (de), un film de Gabriel Baur (en) sur la scène drag internationale
- 2002 : Publication de The drag anthology de Troka, Lebesco et Noble
- 2005 : Traduction en français de Gender Troubles de la philosophe queer Judith Butler qui impacte fortement la communauté queer francophone[6]
- 2008 : le magazine Têtu publie l'article « Drag King : Do it yourself »
- 2011 : Lady Gaga apparait aux MTV Video Music Awards sous les traits de son alter ego masculin Jo Calderone[23]
- 2012 : Man for a Day (de), un film documentaire de Katarina Peters sur l'atelier de drag king l'artiste-perforeuse Diane Tor
- 2012-2013 : Articles sur les drag kings dans Le Nouvel Obs, Rue 89, Huffington Post, Les Inrockuptibles
- 2015 : Documentaire sur les drag kings de Chriss Lag projeté au Festival international des femmes de Créteil
- 2016 : Parole de king !, un film documentaire de Chriss Lag sur les drag kings en France
- 2021 : King Max, un court métrage d'Adèle Vincenti-Crasson avec Julie Furton, Jay des Adelphes, Thomas Occhio[39]
- 2022 : dans le deuxième épisode de Drag Race France apparaissent trois drag kings, Jésus La Vidange, Juda La Vidange et Chico[40],[41].
- 2023 : Devenir roi, documentaire de Manon Selli qui retrace l’histoire et le quotidien de Cha alias PowerBeauTom, un jeune drag king qui, grâce à son art, s'affranchit des normes et explore le genre[42],[43].
Recherche
[modifier | modifier le code]Luca Greco s'est penché sur les pratiques de construction et de présentation de soi dans un atelier Bruxellois de Drag King. Il y interroge l'approche interactionnelle et multisémiotique du genre relativement à l’histoire individuelle et collective des participants[44].
Notes et références
[modifier | modifier le code]- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Drag king » (voir la liste des auteurs).
- Luca Greco, Dans les coulisses du genre : la fabrique de soi chez les Drag Kinds, Limoges, éd. Lambert-Lucas, (ISBN 978-2-35935-252-8), p.31
- (en) Elizabeth L. Kennedy et Madeline D. Davis, Boots of Leather, Slippers of Gold, New York and London, Routledge, , p.75
- Luca Greco, Dans les coulisses du genre : la fabrique de soi chez les Drag Kings, Limoges, Ed. Lambert-Lucas, (ISBN 978-2-35935-252-8), p.33
- Lucie Weeger, « Pourquoi voit-on si peu de drag kings sur scène et à la télévision? », sur Slate.fr, (consulté le )
- (en) Bruce Rodgers, The queens' vernacular : a gay lexicon, Straight Arrow Books, (lire en ligne).
- Luca Greco, Dans les coulisses du genre : la fabrique de soi chez les Drags Kings, Limoges, éd. Lambert-Lucas, (ISBN 978-2-35935-252-8)
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- (en) Laurence Senelick, The changing room : sex, drag, and theatre, Routledge, (ISBN 0-415-10078-X, 9780415100786 et 0415159865, OCLC 42752641, lire en ligne).
- (en) William Drummond, J. Graf et Thomas McLean & Co, Celeste as the Arab boy, (lire en ligne).
- (en) Lesley Ferris, Crossing the Stage : Controversies on Cross-dressing, Psychology Press, , 198 p. (ISBN 978-0-415-06269-5, lire en ligne).
- (en) Lisa Duggan, Sapphic Slashers : Sex, Violence, and American Modernity, Duke University Press, , 310 p. (ISBN 978-0-8223-2617-5, lire en ligne).
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- (en) « Sam T. Jack's Creole Burlesquers », The Boston Globe, (lire en ligne)
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- Nicolò Tissier et Nausicaa Mauge, « Quelques petits trucs à savoir avant de vous lancer dans le drag », sur Vice, (consulté le ).
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- Luca Greco, Dans les coulisses du genre : la fabrique de soi chez les Drag Kings, Limoges, Lambert Lucas, , 184 p. (ISBN 978-2-35935-252-8).
Annexes
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- (en) Jack Halberstam, Female masculinity, Duke University Press, , 329 p. (ISBN 978-0-8223-2243-6)
- Femmes travesties: un "mauvais" genre, Clio et Presses Univ. du Mirail, Univ. de Toulouse-Le Mirail, coll. « Clio », (ISBN 978-2-85816-483-7)
- Marie-Laure Centre national d'art et de culture Georges Pompidou et Bernard Marcadé, Fémininmasculin: le sexe de l'art [exposition, Paris, Centre national d'art et de culture Georges Pompidou, Grande galerie, 24 octobre 1995-12 février 1996], Centre Georges Pompidou Gallimard-Electa, (ISBN 978-2-85850-827-3 et 978-2-07-011520-4)
- Luca Greco, Dans les coulisses du genre: la fabrique de soi chez les Drag kings, Lambert-Lucas, (ISBN 978-2-35935-252-8)