En linguistique, la gémination (phono)syntaxique (aussi appelée gémination syntagmatique, renforcement (phono)syntaxique ou encore cogémination d'après la terminologie italophone) est un phénomène de gémination (doublement d'une consonne) intervenant sur la consonne initiale d'un mot lié au précédent[1]. Il s'agit d'un phénomène de sandhi apparenté à la liaison.
C'est un phénomène typique de certaines variantes de la langue italienne, mais il est également présent en finnois et dans certains emprunts en maltais.
En italien
- Andiamo a casa [anˈdjaˑmo ak‿ˈkaːsa]
- Detto fra le righe [ˈdet.to ˈfra(l‿).le ˈriːɡe]
- Non so che cosa faremo [nonˌsɔk‿.kek‿ˈkɔˑsa faˈreːmo]
- Parlerà Sara, parlerà Daniele [par.leˌras‿ˈsaːra | par.leˌrad‿daˈnjɛːle]
Dans le premier exemple, le mot casa est ainsi affecté par la gémination comme s'il était en réalité écrit ac casa.
C'est non seulement un phénomène lié à la prononciation mais aussi, comme son nom l'indique, un phénomène de syntaxe. En effet, l'énonciation ne prévoit normalement pas de pauses entre les mots ; leur prononciation peut donc être influencée par leur position dans la phrase. Dans un cas typique, la gémination est due à la présence, avant la consonne doublée, d'une monosyllabe ou d'une syllabe accentuée (dans les deux premiers exemples, la consonne géminée est précédée d'une préposition).
Le phénomène est typique du toscan et des dialectes médians et méridionaux, mais il est quasiment absent dans le Nord du pays. Sa présence en toscan lui donne cependant une place dans la prononciation normative (orthoépie) de l'italien standard. Il est enseigné dans les écoles de diction et largement entériné par l'orthographe dans des termes figés comme affinché, appunto, appena, davvero, ovvero, sicché, sopratutto, giammai, cosiddetto, frattanto, lassù, ammodo, neppure, sebbene, ossia, etc.
Origine et répartition géographique
Il semble que l'origine de la gémination syntaxique soit à attribuer à l'assimilation des consonnes finales en latin :
- Ad Brundisium → A Brindisi
Cela implique un stade intermédiaire où, à l'oral, Ad Brundisium serait devenu Ab Brundisium. Autrement dit, la rencontre du D et du B conduit ici à la formation d'un double B, non marqué à l'écrit[2]. Le phénomène se serait ensuite propagé dans la langue.
La gémination phonosyntaxique, en tant que phénomène typique de la langue parlée, ne présente pas des caractéristiques uniformes dans toutes les variétés régionales de l'italien. Ses règles ont donc leurs propres variantes dans différentes régions. Elle est surtout effectuée, notamment, au sud de la ligne La Spezia-Rimini, car au nord de celle-ci les dialectes ont tendance à éviter les doubles consonnes. En Italie du Sud, où la gémination est bien installée dialectalement, elle a au contraire tendance à être appliquée même là où la langue standard ne la prévoit pas.
Il existe deux ouvrages faisant autorité sur l'adéquation des géminations syntaxiques au regard de la norme : le Dizionario di Ortografia e di Pronunzia de Bruno Migliorini, Carlo Tagliavini et Piero Fiorelli (qui se rapporte à la prononciation classique), et le Dizionario di Pronuncia Italiana de Luciano Canepari (pour la norme moderne).
Dans certains dialectes, le phénomène peut avoir une valeur phonémique, c'est-à-dire que sa présence et son absence seront utilisées dans la distinction du sens. Par exemple, le napolitain distinguera 'a casa /a ˈkaːsa/, sans gémination, signifiant « la maison », et a casa /ak‿ˈkaːsa/, avec gémination, signifiant « à la maison ».
Cas typiques en italien standard
La gémination se produit principalement dans quatre cas[2].
- Lorsque la consonne est précédée d'un mot accentué sur la dernière syllabe (oxyton polysyllabique).
- La città nuova [la tʃitˌtan‿ˈnwɔːva]
- Lorsque la consonne est précédée d'une monosyllabe finissant par une voyelle ou une diphtongue descendante, ou bien si la monosyllabe est utilisée métalinguistiquement.
- Andiamo a casa [anˈdjaˑmo ak‿ˈkaːsa]
- Lorsque la consonne est précédée de come, dove, qualche ou sopra.
- Come va? [ko.mev‿ˈva]
- Dove sei? [do.ves‿ˈsɛj]
- Qualche volta [ˌkwal.kev‿ˈvɔl.ta]
- Sopra la tavola [ˌso.pral‿la ˈtaːvo.la]
- Avec dio, dèi, dea, dee lorsque le mot est précédé d'une voyelle, avec Maria dans Ave Maria (mais la variante sans gémination existe aussi)[3], et avec Santo dans Spirito Santo.
- Mio Dio [ˌmi.od‿ˈdiːo]
- Ave Maria [ˌa.vem‿maˈriːa]
- Spirito Santo [ˌspi.ri.tos‿ˈsan.to]
La terminologie du phonéticien Luciano Canepari qualifie les cas 1, 2 et 3 de cogémination, tandis que le quatrième est une prégémination.
Toutes les monosyllabes ne permettent pas la gémination. Par exemple, l'article défini l'empêche[4]. Les articles clitiques et les pronoms (lo, la, li, le, etc.) ne la provoquent pas non plus. De plus, tous les mots ne peuvent pas être jumelés : il existe des mots qui, tout en suivant une monosyllabe géminée, ne doublent pas la consonne initiale, tandis que d'autres (appelés « autogéminants ») sont géminés même s'ils ne sont pas précédés d'un mot géminant.
Monosyllabes cogéminantes
Toutes les monosyllabes provoquant la gémination syntaxique sont des syllabes ouvertes, finissant par une voyelle ou par une diphtongue ascendante. Une telle diphtongue porte en général un accent écrit qui, comme dans les polysyllabes, indique déjà le caractère obligatoire de la gémination comme cela se produit pour les mots monovocaliques à accent distinctif.
La liste de ces monosyllabes est la suivante.
- Formes verbales conjuguées :
- è, fu, ho, ha, vo, va, do, dà, fo, fa, fé, so, sa, sto, sta, può, dì
- Conjonctions :
- che, e, ma, né, o, se
- Pronoms :
- che, chi, ciò, sé, tu ; me, te (ces deux derniers ne doivent pas être confondus avec les variantes des particules mi et ti devant les proclitiques lo, la, li, le, ne)
- Prépositions :
- a, da, su, tra, fra ; ainsi que les prépositions de et ne en poésie
- Adverbes
- su, giù ; qui, qua ; lì, là ; sì, no ; già, più ; (o)'ve, mo
- Noms :
- blu, co, dì, gru, gnu, pro, re, sci, tè, tre ;
- les formes réduites : fé(de), fra(te), a mo'(do) di, pre'(te), piè(de), pro'(de) (mais po'(co) constitue une exception) ;
- les noms des lettres : a, bi, ci, di, e, gi, i, o, pi, qu (ou cu), ti, u, vu (ou vi) (ainsi que les équivalents obsolètes be, ce, de, ge, pe, te, ca) ; les lettres grecques : mi, chi, ni, xi, pi, rho, phi, psi ;
- les noms des notes de musique : do, re, mi, fa, la, si.
Univerbation et gémination
La gémination est parfois visible au niveau de l'orthographe. Cela se produit dans certains mots composés (contraccolpo, soprattutto, sopralluogo). Il s'agit cependant d'une exception à la règle, même si elle est intéressante pour expliquer le dédoublement du L dans certaines prépositions articulées (delle, allo, dalla, etc.).
Dans les mots ayant subi un processus d'univerbation, la gémination phonosyntaxique est donc présente graphiquement, comme dans les exemples suivants.
- Avec a :
- abbasso, abbastanza, abbenché, accanto, accapo, acché, acciò, acciocché, addentro, addì, addietro , addirittura, addosso, affinché, affine, affondo, affresco, allato, allesso, ammeno, ammenoché, ammodo, appena, apparte appetto, appiè, appieno, apposta, appostissimo, appresso, appuntino, appunto, arrivederci, assolo, attorno, attraverso, avvenire, beccafforbice, fantappiè, finattantoché, oltracciò, pressappoco
- Avec che :
- anzichennò, checché, checchessia, chicchessia, dovecchessia, dondecchessia, chessò, purchessia, quandochessia
- Avec chi :
- chicchessia, chissisia, chissà, chissacché, chissacchì, chissadove, chissammai, chissenefrega, chivvalà
- Avec ciò :
- acciocché, ciocché, cionnonostante, conciossiaché, conciossiacosaché, imperciocché, perciocché
- Avec come :
- comecchessia
- Avec contra- :
- contrabbalzo, contrabbando, contrabbasso, contraccambio, contraccarico, contraccettivo, contraccolpo, contraddanza, contraddire, contraddistinguere, contraffare, contraffilo, contrafforte, contraggenio, contrappasso, contrappeso, contrapporre, contrapposizione, contrappunto, contrassegno, contrassoggetto, contrattempo, contravveleno
- Avec così :
- cosicché, cosiddetto, cosiffatto
- Avec da :
- dabbasso, dabbene, dabbenuomo, daccanto, daccapo, dacché, daddovero, dallato, dappertutto, dappiè, dappiede, dappiù, dappocaggine, dappoco, dappoi, dappoiché, dappresso, dapprima, dapprincipio, dattorno, davvero
- Avec dio :
- addio, Iddio, bendiddio, giuraddio, magariddio, oddio, piacciaddio, pregaddio, santiddio, vivaddio
- Avec dove :
- dovecchessia
- Avec e :
- altrettale, altrettanto, ebbene, eccome, epperò, eppoi, eppure, evviva
- Avec fa :
- fabbisogno
- Avec fra :
- frammescolare, frammettere, frammezzare, frammischiare, frammisto, frapporre , frapposizione, frapposto, frattanto, frattempo
- Avec già :
- giacché, giammai
- Avec là :
- laddove, laggiù, lassù
- Avec ma :
- macché, massì
- Avec né :
- nemmanco, nemmeno, neppure, nevvero
- Avec no :
- nossignore
- Avec o :
- oppure, ovvero, ossia, ovverosia
- Avec ogni :
- ognissanti
- Avec però :
- perocché, imperocché
- Avec più :
- piuccheperfetto, piucché, piuttosto
- Avec qua :
- quaggiù, quassù
- Avec se :
- sebbene, semmai, sennò, sennonché, seppure
- Avec sì :
- sibbene, sicché, siccome, siffatto, sissignore
- Avec sopra :
- sopraccalza, sopraccapo, sopraccarta, sopraccassa, sopraccielo, sopracciglio, sopracciò, sopraccitato, sopraccoda, sopraccollo, sopraccolore, sopraccoperta, sopraddetto, sopraddote, sopraffare, sopraffilo, sopraffino, sopraffusione, sopraggitare, sopraggiungere, sopraggravio, sopralluogo, soprammanica, soprammano, soprammattone, soprammenzionato, soprammercato, soprammettere, soprammobile, soprammondo, soprannaturale, soprannome
- Avec sovra :
- sovrabbondare, sovraccaricare, sovrannazionale
- Avec su :
- succitato, suddetto, sullodato, summentovato, summenzionato, suppergiù, suvvia
- Avec tre :
- treppiede, trepponti, tressette
En finnois
En finnois, le phénomène est appelé rajageminaatio, rajakahdennus, alkukahdennus ou loppukahdennus.
Il est déclenché par certains morphèmes. Si le morphème est suivi d'une consonne, celle-ci est doublée ; s'il est suivi d'une voyelle, un coup de glotte allongé est ajouté. Par exemple, mene pois est prononcé [me.nep‿poi̯s] et mene ulos se prononce [me.neʔ‿ʔu.los].
En maltais
Le maltais ne fait pas lui-même usage de gémination syntaxique mais a emprunté de nombreux mots siciliens et italiens avec une consonne initiale géminée, comme (i)kkomprenda ou (i)pperfezzjona de l'italien comprendere et perfezionare. Cette particularité est favorisée par la morphologie verbale du maltais, ce qui explique par ailleurs pourquoi on ne l'observe que sur les verbes.
Notes et références
- (it)/(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu des articles intitulés en italien « Raddoppiamento fonosintattico » (voir la liste des auteurs) et en anglais « Syntactic gemination » (voir la liste des auteurs).
- « raddoppiamento », sur www.locuta.com (consulté le )
- (it) « raddoppiamento sintattico in "Enciclopedia dell'Italiano" », sur www.treccani.it (consulté le )
- « Dizionario d'ortografia e di pronunzia », sur www.dizionario.rai.it (consulté le )
- Luca Serianni, Grammatica italiana : italiano comune e lingua letteraria, suoni, forme, costrutti, UTET, (1989 printing) (ISBN 88-02-04154-7 et 978-88-02-04154-4, OCLC 20893745, lire en ligne)