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Jules Nicolas Crevaux, né le à Lorquin dans l'ancien département de la Meurthe aujourd'hui Moselle, tué le 27 avril 1882 sur les bords du río Pilcomayo en Argentine, est un médecin militaire français, explorateur de la Guyane.
Biographie
Né de parents aubergistes, il suit des études classiques au lycée impérial de Nancy et commence des études de médecine militaire à Strasbourg. Il parle l'allemand[1]. Il entre en à l'École de médecine navale de Brest[2]. En , il est nommé aide-médecin à l'hôpital de Brest et, un an plus tard, embarque sur le Cérès qui le mènera au Sénégal, aux Antilles et en Guyane avant de le ramener à l'hôpital de Brest. Dès le début de la guerre franco-prussienne de 1870 il se porte volontaire et rejoint le 4e bataillon de fusiliers marins à l'armée de la Loire. Participant à la défense du port de Fréteval, il est fait prisonnier avec ses blessés le . Il s'évade cependant rapidement, fait du renseignement au service de Léon Gambetta, puis rejoint l'armée de l'Est où il est blessé, à Chaffois le [3]. De retour à Paris, il achève ses études de médecine et soutient en 1872 sa thèse de doctorat : De l'hématurie chyleuse ou graisseuse des pays chauds, parasitose dont il avait observé les symptômes lors de son passage en Guyane.
Médecin-major sur le Lamotte-Piquet, en 1873, à la division navale de l'Atlantique-sud, il est nommé, l'année suivante, en Guyane et entreprend l'exploration de ce pays dont l'intérieur est encore très mal connu. Revenu en France en 1876, il devient assistant de Ranvier au laboratoire d'histopathologie au Collège de France. Épris d'aventure il se fait nommer à nouveau en Guyane et embarque le . L'objectif est de cartographier et de récolter des échantillons anthropologiques, ethnologiques, zoologiques, botaniques et géologiques[4]. Après avoir soigné les malades de la fièvre jaune aux îles du Salut[1], il part avec le Préfet apostolique Ambroise Emonet (1828-1898) et le père Kroenner le explorer l'arrière pays de la Guyane. Il remonte le Maroni, étudie les Indiens Galibis puis, seul, pénètre chez les Bonis, anciens esclaves noirs évadés réfugiés dans la forêt, en Guyane hollandaise. Il s'y lie d'amitié avec Apatou qui le suivra désormais[1], y compris à Paris, où il sera acclamé à la Sorbonne. Poursuivant son exploration, il remonte l'Itany, affluent du Maroni, et arrive chez les Roucouyennes où, malade, il doit se reposer. Le , il repart par le sentier des Emérillons, passe ce qu'il pense être le sommet des légendaires monts Tumuc-Humac, redescend par l'Apaouani et atteint le le rio Jari, affluent de l'Amazone. Deux mois plus tard il arrive à Belém après avoir parcouru plus de 1 000 km de fleuves et de forêts totalement inconnus. Il est dans un tel état de dénuement qu'on le prend pour un forçat évadé ; heureusement un Français lui offre le bateau pour la France et le il rend compte de son voyage à la Société de géographie et est fait chevalier de la Légion d'honneur. Il a tout juste 31 ans[1].
Son appétit de découvertes n'est pas assouvi et, dès le , il s'embarque à Saint-Nazaire pour la Guyane et le entreprend une nouvelle exploration. Il remonte l'Oyapock presque jusqu'à sa source (qui sera découverte par Henri Coudreau en 1889), franchit à nouveau la Serra de Tumucumaque (où il y a maintenant le pic Crevaux), descend le Rouapir, traverse le territoire des Calayouas et atteint le le rio Jari. Ne voulant poursuivre sur cet affluent de l'Amazone qu'il connaît déjà, il pousse à l'ouest, trouve le Parou, affluent parallèle, le descend et arrive à Belém où on lui fait meilleur accueil et où il peut se reposer. Quelque temps plus tard il remonte, en bateau à vapeur, l'Amazone jusqu'à Para, et, en pirogue, le rio Içá jusqu'à Concepción en Colombie puis redescend par le Yapura et atteint l'Amazone le . Ayant parcouru plus de 6 000 km de cours d'eau et recueilli une masse d'informations botaniques, ethnographiques et anthropologiques, il présente, début 1880, cet impressionnant bilan scientifique à la Société de géographie de Paris qui lui remet sa grande médaille d'or. C'est la gloire.
Mais l'Amazonie, l'appelle à nouveau et le il repart avec le pharmacien de la Marine Eugène Lejanne à Santa Fe de Bogota, remonte le río Magdalena, en Colombie, franchit la cordillère des Andes et redescend en radeau vers l'Orénoque, par le río Guaviare qu'il baptise rio de Lesseps. Arrivé dans le delta de l'Orénoque, après avoir exploré 3 400 km de fleuve en 161 jours et récolté une ample moisson d'objets de botanique, de zoologie et d'anthropologie, le docteur Crevaux est épuisé et doit se reposer quelque temps parmi les Indiens Gouaraounos. Il rentre en France le et est fait officier de la Légion d'honneur[1].
Prenant quelques mois de repos, il monte une nouvelle expédition (peut-être à cause d'une déception amoureuse[1]) avec l'astronome Billet, le médecin Bayol et le peintre Jules Guillaume Auguste Ringel (né en 1855). Le but est d'explorer le río Pilcomayo qui traverse le Gran Chaco et qui, exploité, servirait de trait d'union entre la Bolivie et l'Argentine. Fin 1881, il embarque pour Buenos Aires. En il arrive à Tarija, en Bolivie, où il doit s'arrêter à cause de l'état de guerre qui règne dans la région. L'équipe alors se sépare, Billet part reconnaître le Tocantins et Crevaux, accompagné de 18 hommes, part rejoindre le río Pilcomayo. Le , il commence la descente de la rivière. Le , il est en plein territoire des Indiens Tobas qui, excités par un récent combat contre une autre tribu, le surprennent ainsi que ses compagnons et les font prisonniers. Deux membres de l'escorte parviendront à s'échapper et raconteront que Jules Crevaux avait été tué et mangé, ainsi que deux autres compagnons, par les Tobas. Il venait d'avoir 35 ans et laissait derrière lui les récits de ses voyages ainsi qu'un ouvrage intitulé Grammaire et vocabulaire Roucouyennes qui sera publié après sa mort.
Cette version est cependant contestée : « Le mystère demeure sur les circonstances de sa mort, et l'identité des meurtriers, et le témoignage des survivants peut être mis en doute » note Francis Grandhomme, qui a consacré son doctorat d'histoire à Jules Crevaux. L'anthropologue Isabelle Combès ajoute : « À cette époque, c'était un peu le Far West dans cette région du monde. Les colonisateurs, qui n'avaient pas accès à la main d'œuvre indienne et les missionnaires franciscains se détestaient », rappelant par ailleurs que les Tobas n'ont jamais été cannibales et que le témoignage de l'explorateur Émile-Arthur Thouar, parti à la recherche de Jules Crevaux, est sujet à caution, l'homme ayant modifié ses déclarations au fil du temps, avant de finalement accuser les Tobas dans ses derniers écrits[1].
Sa mort provoque cependant un vif émoi en Amérique latine et en France[4], tant ses exploits d'explorateur étaient salués. Il a démonté le mythe de l'Eldorado, en notant qu'aucune construction en or ne se trouve sur les monts Tumuc-Humac mais des roches avec du mica qui brille au soleil. Il a par ailleurs tenté d'expliquer le mythe des Amazones en estimant, à partir de témoignages contestés depuis, qu'il s'agissait en réalité d'un groupe de femmes répudiées par leur tribu[1].
Postérité
Son nom sera donné, par arrêté du , à une rue nouvellement ouverte dans Paris par la Société foncière lyonnaise qui, d'après le décret de Jules Grévy du , « a supporté les dépenses des travaux de viabilité, d'éclairage et de conduites d'eau ». La nomenclature officielle des voies de Paris[5] précise que cette rue s'appelait précédemment « rue Dennery ». En fait, ainsi que le prouve le plan de Paris de 1882, il s'agissait d'une voie privée traversant le terrain que monsieur Dennery a cédé à la Société foncière lyonnaise à l'exception de ce qui est aujourd'hui le musée d'Ennery. La rue Crevaux se trouve dans le 16e arrondissement, perpendiculaire à l'avenue Foch.
Nancy, située non loin du village natal de Jules Crevaux, a également célébré sa mémoire (il était à l'époque impossible de le faire à Lorquin, qui se trouvait en territoire allemand, depuis la guerre de 1870 et le traité de Francfort[6]). Ainsi, après une hésitation entre plusieurs rues de Nancy, l'une d'elles, celle qui est actuellement connue sous le nom de rue Lacordaire, fut choisie pour être baptisée rue Crevaux le , à la suggestion de la Société de géographie. De nos jours, la rue appelée rue Crevaux est celle qui longe la nef de l'église Saint-Fiacre, soit l'ancienne rue Lacordaire (leurs dénominations furent en effet permutées par un arrêté municipal du , car l'ancienne rue Crevaux jouxtait un couvent de Dominicains, et il paraissait plus logique qu'elle porte le nom de son fondateur Henri Lacordaire)[7]. Un monument est aussi dédié à Jules Crevaux dans le jardin Alexandre-Godron[4].
On trouve également une rue Crevaux à Rambervillers.
A Brest, dans l'enceinte de l'hôpital interarmes, autrefois hôpital maritime, se trouve un buste en bronze de Jules Crevaux.
À Cayenne, le bâtiment principal de la direction interarmées du service de santé en Guyane porte son nom.
Ouvrages
- De l'hématurie chyleuse ou graisseuse des pays chauds, Collection des thèses soutenues à la Faculté de Médecine de Paris, An 1872, tome 4, 64 p.
- Fleuves de l'Amérique du sud :1877-1879. Missions du ministère de l'instruction publique, Paris, Société de géographie, 1883, lire en ligne .
- En radeau sur l'Orénoque : des Andes aux bouches du grand fleuve 1881-1882, réédition Phébus, Paris, 1989, 188 p. (ISBN 2859401245)
- Grammaires et vocabulaires roucouyenne, arrouague, piapoco et d'autres langues de la région des Guyanes (par MM. J. Crevaux, P. Sagot, L. Adam), Bibliothèque linguistique américaine, tome 8, Paris, 1882, 288 p.
- Voyages dans l’Amérique du Sud : contenant ; I. Voyage dans l’intérieur des Guyanes (1876-1877) exploration du Maroni et du Yary. II. De Cayenne aux Andes (1878-1879) exploration de l'Oyapock, du Parou, de l'Ica et du Yapura. III. À travers la Nouvelle-Grenade et le Venezuela (1880-1881) exploration en compagnie de M. E. Le Janne, du Magdalena, du Guaviare, et de l'Orinoque. IV. Excursion chez les Guaraounos, (avec 253 gravures sur bois, d'après de photographies ou des croquis pris par les voyageurs, 4 cartes et 6 fac-similés du dr. Crevaux), Hachette, Paris, 1883, 635 p. (lire en ligne la partie I)
- Le mendiant de l'Eldorado. De Cayenne aux Andes, 1876-1879, réédition Phébus, Paris, 1989, 413 p. (ISBN 2859400923)
Références
- Marc Cherki, « Jules Crevaux, défricheur de l'Amazone », Le Figaro, vendredi 11 août 2017, page 9.
- Sept ans auparavant, à quelques kilomètres, était né à Vannecourt Théophile Klaine, futur explorateur de la flore africaine, mort à Libreville en 1911. Cf. http://www.dacb.org/stories/gabon/f-klaine_theophile.html
- Sandra Delaunay, Pierre-Antoine Gérard, Elia Saunier, Christian Willig, Nature en collections: Témoignages du vivant, Nancy, Muséum-Aquarium de Nancy, , 128 p. (ISBN 978-2953776478), p. 20-25
- « Jules Crevaux », sur collections.museumaquariumdenancy.eu (consulté le )
- Rue Crevaux, sur le site de Paris.
- « Inauguration du buste du Docteur Crevaux dans le jardin botanique de la ville de Nancy », Revue française de l'étranger et des colonies, vol. 2, no 7, , p. 77–82.
- Gilbert Percebois, « Les explorations et la mort tragique de Jules Crevaux vues par ses contemporains nancéiens », dans Comité des travaux historiques et scientifiques, Études géographiques sur la Lorraine : Actes du 103e Congrès national des sociétés savantes, Nancy-Metz, 1978, Section de géographie, Paris, Bibliothèque nationale, , 306 p. (ISBN 2-7177-1463-4), p. 69–80 (77).
Voir aussi
Articles connexes
Bibliographie
- Georges Franck, Voyages & découvertes de J. Crevaux : notice biographique, relations de voyage : un autographe, quatre gravures et trois cartes, renseignements biographiques inédits fournis par la famille, Paris, A. Picard et Kaan, (lire en ligne)
- Émile Rivière (Émile Valère), Jules Crevaux, Paris, 1885, 14 p.
- Jean-Marcel Hurault, Français et Indiens en Guyane, 1604-1972, 10-18, 1972, p. 189-191.
- La Tour Madure, Jules Crevaux, explorateur (1847-1882), 5 rue Bayard, « Les Contemporains » no 448, Paris, 1901, 16 p.
- Nicole Pierucci-Perot, Jules Crevaux, médecin et explorateur (1847-1882) : Ses écrits médicaux et biologiques, 1981, 91 p. : thèse de médecine à Nancy-I
- Dominique Heckenbenner, Jules Crevaux : L'explorateur aux pieds nus, Musée du pays de Sarrebourg, Sarrebourg, 1998, 56 p. (ISBN 2-908789-13-2) : catalogue de l'exposition du au
- L'Amazonie disparue : Indiens et explorateurs 1825-1930, dir. Antoine Lefébure, La Découverte, 2005 (ISBN 2-7071-4422-3)
- Philippe Valode, Les grands explorateurs français de Jacques Cartier à nos jours, L'Archipel, 2008 (ISBN 978-2-8098-0108-8), p. 119-122
- Francis Dupuy, Deux explorateurs dans l'intérieur de la Guyane à la fin du XIXe siècle : Jules Crevaux et Henri Coudreau in Christiane Demeulenaere-Douyère (dir.), Explorations et voyages scientifiques de l'Antiquité à nos jours, CTHS, 2008, p. 159-181
- Francis Grandhomme, Une figure lorraine : Jules Crevaux (1847-1882) et l'exploration de l'Amérique du Sud, Thèse de doctorat d'histoire, Nancy 2, 2011, 864 p.
- Corinne Fenchelle-Charlot, Jules Crevaux, l'explorateur de l'Amazonie, de la Guyane aux Andes, Éditions Gérard Louis, 2014, 272 p.
- Isabelle Combès, Qui a tué Jules Crevaux ? : un assassinat dans le Chaco bolivien en 1882, [Abreschviller], la Valette, , 319 p. (ISBN 979-10-91590-51-8, SUDOC 262706350).
Liens externes
- Ressources relatives à la recherche :
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- Ressource relative aux beaux-arts :
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
- Voyage d'exploration dans l'intérieur des guyanes, par le Docteur Jules Crevaux, médecin de première classe de la marine française ; 1876-1877 Textes et dessins inédits (html)
- Site de l'association "Les Amis de Jules Crevaux"
- Les enjeux des explorations en Amazonie
- Georges Franck, Voyages & Découvertes de J. Crevaux (notice biographique, relations de voyage), Paris, Alcide Picard et Kaan, , 86 p. (lire en ligne)
- Jules Crevaux, Fleuves de l’Amérique du Sud 1877-1879, Paris, Société de Géographie, (lire en ligne)
- Jules Crevaux, Le Tour du Monde. Voyage d’exploration dans l’intérieur des Guyanes, S.l., s.d., 416 p. (lire en ligne)