Les Croisilles/La Dogetterie Anciennement La Mort aux Juifs | |
Administration | |
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Pays | France |
Région | Centre-Val de Loire |
Département | Loiret |
Arrondissement | Montargis |
Canton | Courtenay |
Intercommunalité | Communauté de communes du Betz et de la Cléry |
Commune | Courtemaux |
Code postal | 45320 |
Code commune | 45113 |
Géographie | |
Coordonnées | 48° 02′ 14″ nord, 2° 54′ 14″ est |
Altitude | Min. 131 m Max. 133 m |
Localisation | |
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La Mort aux Juifs est l'ancien nom d'un hameau situé route de Louzouer, dans la commune française de Courtemaux, dans le département du Loiret en région Centre-Val de Loire, constitué d'une ferme et quatre maisons[1] avec une mare[2]. À la suite d'une demande du centre Simon-Wiesenthal au ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve, et sur insistance du sous-préfet, le conseil municipal finit en par débaptiser le hameau[3],[4].
Il porte désormais les noms de Les Croisilles et La Dogetterie.
Toponymie
Ce hameau est appelé « la Mort aux Juifs » sur la carte de Cassini (vers 1757)[5]. Un « noble homme Messire Pierre Ozon, sieur de la Mort-aux-Juifs » y est attesté à la fin du XVIIe siècle[6],[7].
Différentes origines sont évoquées :
- le toponymiste et chargé de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) Pierre-Henri Billy explique ce nom comme signifiant « la mare à purin », « Mort » étant le rhabillage relativement courant du mot *more ou *maure, correspondant à la prononciation dialectale de mare dans les toponymes du bassin de moyenne et basse Loire[2], et purin se disant juin dans l'Orléanais (du latin suinus signifiant « porcin »), lequel se serait dénasalisé en « jui » puis aurait pris la graphie « juif » qui était prononcée sans le f final en ancien français[2]. Cette explication prolonge celle de l'historien local Paul Gache, qui écrivait en 1972 : « On sait que souvent une mare médiévale est devenu un mort, ainsi la mare au Juif (singulier) est devenu la Mort aux Juifs (pluriel). »[8] ;
- François Carré, dans une étude de toponymie publiée en 1999, retient aussi comme étymologie « La mare aux Juifs » ou « Le marais aux Juifs », considérant qu'« une connotation antisémite est probable dans le cadre d'une étymologie populaire, mais il ne se référait à l'origine à nulle intention de génocide : « mort » est sans doute une mare ou un marais »[9] » ;
- l'historien et romancier Pierre Miquel, reprenant une tradition locale[1], évoque « le marc-au-juif », correspondant à un péage fixé à un marc d'argent dont le préposé aurait été un juif, ou payé par les négociants juifs[10] ;
- Jacques-Léon Pons[11] propose « Le Mort-au-Juis », renvoyant aux bois de justice, c'est-à-dire soit à un pendu, soit « (si l'on tient compte du sens dérivé tardivement de juis : « Croix du Christ ») un crucifix, avec le « mort », c'est-à-dire le corps du crucifié (non représenté pendant des siècles sur les croix des carrefours) ». En effet, « « Juifs » est souvent une « fausse étymologie populaire » pour Juis ou Juy, qui vient du latin judicium et signifie « bois de justice », « potence », « gibet ». Ainsi, par exemple, Foljuif, près de Nemours, vient de « faucale judicium », « les bois de haute justice (peine capitale), le signe de haute justice » » ;
- enfin, reprenant des suppositions non référencées de certains « érudits locaux »[12], Stéphane Gendron[13], après Jacques Soyer[14], rejoignent l'hypothèse émise au XIXe siècle d'un possible lien avec une ordonnance du roi Jean le Bon[15] dirigée contre les « Italiens, Lombards, Ultramontains et autres usuriers », signée le [16] à moins de 5 km de là, au château royal de Chantecoq[15],[17] et supposent (sans autres sources) le souvenir d'un pogrom local[11].
Géographie
Le hameau est situé à environ 3 km au sud-ouest du bourg de Courtemaux, à 150 m au nord-est du bois du Buisson et à 700 m au sud de l'autoroute A19. Il se trouve sur la route de Louzouer, entre le hameau Les Gobets et le bourg de la commune voisine, Louzouer.
Histoire
La Mort-aux-Juifs était le principal fief de la paroisse de Courtemaux. C'était un fief censitaire mais non justicier. À la fin du XVIIe siècle, Pierre Ozon était le sieur de la Mort-aux-Juifs[17].
Économie
Un élevage porcin est installé sur le hameau, appelé depuis 1982 « La Mare aux Geais »[2].
Controverse pour un changement de nom
Des habitants de la commune prennent à plusieurs reprises en 1977 et en 1980 l'initiative de réclamer un changement du toponyme : des pétitions et une lettre au président de la République française sont évoquées par les sources[12].
En 1992, le président de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA) de la région Centre[18], puis le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP)[19], font une demande de changement de nom auprès du maire, des autorités préfectorales et du ministère de l'intérieur. Le député de la Charente Pierre-Rémy Houssin adresse une question écrite de même nature à Paul Quilès, ministre de l'intérieur[20]. En septembre 1993, le sujet est également évoqué auprès du Conseil de l'Union européenne par le député européen James Ford, qui souhaite voir celui-ci « entreprendre des démarches auprès du gouvernement français afin de lui demander de faire pression sur les autorités appropriées pour qu'elles changent immédiatement ce nom à connotation raciste et antisémite »[21].
L'historien Henry Rousso et le journaliste Éric Conan y voient l'exemple « [confinant] proprement à l'absurde » d'« un « discours » ambiant, plus politique, porté de-ci de-là par des militants tardifs de la mémoire. Ces derniers semblent s'être reconvertis d'une militance d'action prophétique à une militance d'inquisition rétroactive. Faute d'avoir une action réelle contre le « fascisme » d'aujourd'hui qu'il soit réel ou fantasmé, on porte l'attaque, résolument, sur le fascisme d'hier. On exige un geste présidentiel, on pétitionne, on dénonce l'État intrinsèquement « vichyste » qui garde au coffre les « secrets des archives », on se lance dans des épurations de la mémoire, on débaptise sauvagement les rues »[22].
En décembre 1993, la mairie selon certaines sources[23], le Conseil d'État selon d'autres[12],[13], change le nom (d'usage ?) au profit de la « route de Louzouer. » Le toponyme demeure cependant inscrit au cadastre.
En 2014, la controverse est relancée quand le Centre Simon-Wiesenthal demande à nouveau le changement de nom[24]. Son directeur des relations internationales, Shimon Samuels, reprenant le problème à la base, se dit « choqué que ce nom soit passé inaperçu pendant les soixante-dix ans qui ont suivi la libération de la France du national-socialisme et du régime de Vichy. »[25].
Une conseillère municipale de Courtemaux, Marie-Elisabeth Secrétand, déclare à la presse qu’« il faudrait pour changer de nom une décision du conseil municipal, mais cela m'étonnerait bien. Pourquoi changer un nom qui remonte au Moyen Âge, ou à plus loin encore ? Il faut respecter ces vieux noms[26] ». Celle-ci est désavouée par M. Michel Vouette, maire de Courtemaux qui décide de mettre à l’ordre du jour du prochain conseil municipal la suppression de la mention incriminée[27].
L'hebdomadaire Marianne estime que la traduction du nom du village, dans le communiqué du Centre Simon-Wiesenthal, par « Death to the Jews » (Mort aux juifs) est troublante. En effet, d'après le magazine, « Il existe une différence notable, due à la présence ou non du déterminant « la » et des tirets entre les mots : sans, il s’agit d’une injonction à tuer des juifs, avec, d’un lieu où des juifs sont morts[12]. Cette absence de nuance a généré un quintal de commentaires haineux envers la France et les personnes de confession juive sur les sites d’information[28] ».
En , réuni une première fois pour statuer, le conseil municipal refuse de débaptiser le hameau. Le maire, « Michel Vouette explique que, pour les élus et les habitants de Courtemaux, le nom du hameau n’avait pas une connotation antisémite et qu’ils auraient voulu le conserver par attachement à l’histoire du village. »[29]. Le sous-préfet menace alors de saisir le tribunal administratif si le conseil ne revient pas sur sa décision sous trois jours. Celui-ci se réunit à nouveau et décide de rayer « La Mort-aux-Juifs » du cadastre pour le remplacer par deux nouveaux noms de hameaux « Les Croisilles » et « La Dogetterie »[4].
Autres cas similaires
- Un village du nord de l'Espagne se nommait « Castrillo Matajudíos » traduction : « Castrillo tue les juifs ». En 2014, un référendum a été organisé pour proposer le changement du nom en « Mota de Judios » traduction : « la colline des Juifs », modification officialisée et célébrée le [30],[25].
Existent également[2] :
- La Mort-aux-Barbes à Saint-Parres-lès-Vaudes (Aube) ;
- La Mort-aux-Femmes à Erbray (Loire-Atlantique) ;
- La Mort-aux-Bêtes à Pierrefitte (Deux-Sèvres).
Bibliographie
- Salih Akin (directeur de publication), Noms et re-noms : la dénomination des personnes, des populations, des langues et des territoires, Mont-Saint-Aignan, publ. par l'UPRES-A CNRS 6065, coll. « Dyalang (ISSN 1292-1211) », (réimpr. 2000 (BNF 37181145)), 287 p., publications de l'université de Rouen (ISBN 2-87775-272-0, présentation en ligne, lire en ligne), « 4.6. Être habitant de La Mort aux Juifs : les raisons historiques d'un changement toponymique », p. 53
- J. Kohnno, « La Mort-aux-Juifs », Revue de l'Association des Médecins israélites de France, no 290, , p. 81-82
Notes et références
- Diane de Fortanier, « La Mort-aux-Juifs, un hameau dérangeant », sur lefigaro.fr, Le Figaro, (consulté le ).
- Pierre-Henri Billy, « La Mort-aux-Juifs : histoire d'un nom propre », Le Monde, (lire en ligne, consulté le ). Pierre-Henri Billy est toponymiste, chercheur au CNRS, auteur du Dictionnaire des noms de lieux de la France, éditions Errance, 2011.
- Laurent Martinet avec AFP, « "La-mort-aux-Juifs": le hameau du Loiret va changer de nom », sur lexpress.fr, L'Express, (consulté le ).
- « Le hameau du Loiret « La Mort-aux-Juifs » débaptisé », larep.fr, 27 janvier 2015.
- la Mort aux Juifs sur la carte de Cassini sur le site Géoportail.
- A. Berton, « Notice sur Courtemaux », Bulletin de la Société archéologique et historique de l'Orléanais, no 116, 1883, pages 35 et suiv.
- Au début du XVIIIe siècle, la famille Ozon était toujours propriétaire du fief, avec « Michel Ozon, sieur de la Mort-aux-Juifs » qui est inhumé à Montargis le 10 novembre 1715 comme l'indique l'Inventaire sommaire des archives de la ville de Montargis de 1893, p. 122.
- Paul Gache, Bulletin de la Société d'émulation de l'arrondissement de Montargis, n°18, mars 1972, p. 37. Voir aussi l'article par le même auteur dans le n°7, octobre 1969, du même Bulletin p. 4.
- François Carré, « Des "voisins" méconnus : Un groupe de toponymes de zones humides d’origine germanique ? », Mémoires de la Société archéologique d'Eure-et-Loir, Vol. 32, 1999, p. 55-103 ainsi que François Carré, « Appellatifs et désignatifs des mares en Eure-et-Loir : éléments de micro-hydronymie régionale », dans Anne Teissier-Ensminger, Bertrand Sajaloli (dir.), Radioscopie des mares, L'Harmattan, 1997, 288 p., pages 47-76.
- Pierre Miquel, Petite histoire des noms de lieux, villes et villages de France, Albin Michel, 1993, 350 pages, p. 203-205.
- Jacques-Léon Pons, « Notes de lecture : Stéphane Gendron, Noms de lieux du Centre : Cher, Eure-et-Loir, Indre, Indre-et-Loire, Loiret, Loir-et-Cher », dans Bulletin de la Société archéologique et historique de l'Orléanais, Société archéologique et historique de l'Orléanais, tome XIV, numéro 117, 1996, p. 37-40. Voir p. 38-39, en ligne sur Gallica.
- Salih Akin (directeur de publication), Noms et re-noms : la dénomination des personnes, des populations, des langues et des territoires, Mont-Saint-Aignan, publ. par l'UPRES-A CNRS 6065, coll. « Dyalang (ISSN 1292-1211) », (réimpr. 2000 (BNF 37181145)), 287 p., publications de l'université de Rouen (ISBN 2-87775-272-0, présentation en ligne, lire en ligne), « 4.6. Être habitant de La Mort aux Juifs : les raisons historiques d'un changement toponymique », p. 53 « C'est le cas d'un hameau de la commune de Courtemaux (département de Loiret) qui s'appelait La Mort aux Juifs jusqu'en 1993. D'après les érudits locaux, ce toponyme remonterait aux années 1500, à l'issue, peut-être, d'une persécution qui se serait déroulée dans cette région. Il s'agit donc d'un nom attribué, au départ, pour la commémoration d'un crime. Toutefois, il a suffi de quelques attentats antijuifs (comme celui de la rue Copernic) greffés à un passé de destruction massive des Juifs, pour que les habitants, inquiets des confusions qui pourraient se faire à leur sujet, se mobilisent dans une démarche de changement du nom de leur village. À plusieurs reprises en 1977 et en 1980, ils ont demandé un changement toponymique, rédigeant, à cette fin, une pétition et écrivant au président de la République. »
- Stéphane Gendron, Noms de lieux du Centre: Cher, Eure-et-Loir, Indre, Indre-et-Loire, Loiret, Loir-et-Cher, Christine Bonneton, 1998, 232 p., p. 56.
- Jacques Soyer, Les noms de lieux du Loiret, recherches sur l'origine et la formation des noms de lieux du département du Loiret, Horvath, 1933, 735 p. Présentation en ligne.
- Carle de Rash (directeur de publication), L'Intermédiaire des chercheurs et curieux, vol. 102, Paris, B. Duprat, , questions et réponses, communications diverses à l'usage de tous, littérateurs et gens du monde, artistes, bibliophiles, archéologues, généalogistes, etc. (ISSN 0996-2824, OCLC 503855064, BNF 34413981, lire en ligne) « Sur la commune de Courtemaux, dans le canton de Courtenay (Loiret) existe une ferme sur l'emplacement d'une ancienne seigneurie appelée « La Mort aux Juifs ». Ce petit fief appartenait à une riche famille de bourgeois anoblis par des charges de judicature de Montargis les Ozon. Dans la commune voisine, Chantecoq, existent des traces d'un ancien château royal où séjourna Jean le Bon. »
- Alfred Jourdan et Isambert Decrusy, Recueil général des anciennes lois françaises, depuis l'an 420 jusqu'à la Révolution de 1789, vol. 4, Belin-Leprieur, 529 p. (présentation en ligne, lire en ligne), p. 679.
- Voir le Bulletin de la Société archéologique et historique de l'Orléanais, tome 8 no 116, janvier 1883, p. 37 et les Mémoires de la Société archéologique de l'Orléanais, 1884, tome 18, p. 217.
- Éric Conan, Henry Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas, Fayard, 2013, 500 p. ainsi qu'Yoram Mouchenik, Ce n'est qu'un nom sur une liste, mais c'est mon cimetière : traumas, deuils et transmission chez les enfants juifs cachés en France pendant l'Occupation, Pensée sauvage, 2006, 173 p., pages 113-117.
- Différences, no 136, décembre 1992, page 2.
- Journal officiel, no 43, 26 octobre 1992.
- Journal officiel des Communautés européennes, C 320, 26 novembre 1993.
- Éric Conan, Henry Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas, Fayard, 2013, 500 p., pages 414-415.
- « "La Mort aux juifs" change de nom », Le Monde, supplément Heures locales - Région Centre, 5 décembre 1993 ainsi qu'Anne Kling, La France LICRAtisée, Déterna, 2006, 436 p. page 212.
- Wiesenthal Centre to French Interior Minister: “Loiret Village Name of ‘La Mort aux Juifs’ (‘Death to the Jews’) Must be Renamed”.
- « Un lieu-dit du Loiret nommé La Mort aux juifs remis en question », sur lemonde.fr, Le Monde, (consulté le ).
- Agence France-Presse, « Un lieu-dit du Loiret, "La-mort-aux-Juifs", bientôt débaptisé ? », sur larep.fr, La République du Centre, (consulté le ).
- Agence France-Presse, « Lieu-dit "La-Mort-aux-Juifs" : le maire inscrira la suppression du nom au prochain conseil municipal », sur larep.fr, La République du Centre, (consulté le ).
- Alexandre Coste, « Faut-il rebaptiser La-Mort-aux-Juifs ? », sur marianne.net, Marianne, (consulté le ).
- Centre France, « Le hameau du Loiret « La Mort-aux-Juifs » débaptisé », sur larep.fr, (consulté le ).
- « Ce village s'appelait Tue-les-Juifs. Il a enfin un nouveau nom », sur L'Obs, https://plus.google.com/+LeNouvelObservateur (consulté le ).