Le libre parcours moyen inélastique (en anglais : inelastic mean free path, ou IMFP) des électrons est une mesure de la distance moyenne qu'un électron parcourt à travers un solide avant de perdre de l'énergie.
Si un faisceau primaire monochromatique d'électrons d'énergie arrive sur une surface solide, la majorité des électrons incidents perdent leur énergie car ils interagissent fortement avec la matière, conduisant à une excitation du plasmon, à la formation de paires électron-trou et à une excitation vibratoire[2]. L'intensité du faisceau primaire est atténuée en fonction de la distance , parcourue dans le solide. La décroissance de l’intensité peut s'exprimée comme suit :
où est l'intensité du faisceau d'électrons primaires après avoir traversé le solide jusqu'à une profondeur depuis la surface. Le paramètre s'appelle le libre parcours moyen inélastique (en anglais : inelastic mean free path, ou IMFP). Il est défini comme la distance qu'un faisceau d'électrons parcourt avant que son intensité ne soit divisée par e (la base des logarithmes naturels). Cette équation est étroitement liée à la loi de Beer-Lambert. Notons que les électrons éliminés du faisceau n'ont pas forcément disparu, la plupart ont juste perdu de l’énergie et ont été déviés de leur trajectoire initiale par diffusion inélastique.
L'IMFP des électrons en fonction de leur énergie peut être décrit approximativement par une courbe universelle qui est la même pour tous les matériaux[1],[3].
La connaissance de l'IMFP est indispensable pour certaines mesures en spectroscopie électronique et en microscopie électronique[4].
Applications
L'IMFP est utilisé en spectrométrie photoélectronique X pour calculer la longueur d'atténuation effective, la profondeur d'échappement moyenne et la profondeur d'information[5]. Il est en outre utilisé pour effectuer des corrections matricielles du facteur de sensibilité relative dans l'analyse quantitative des surfaces. De plus, il est un paramètre important pour les simulations Monte Carlo du transport des photoélectrons dans la matière.
Détermination de l'IMFP
Les déterminations de la valeur de l'IMFP sont principalement basées sur l'algorithme FPA (de l'anglais full Penn algorithm) développé par Penn[6], sur des constantes optiques expérimentales ou sur des données optiques calculées (pour les composés chimiques)[5]. Le FPA considère un événement de diffusion inélastique et la dépendance de la fonction de perte d'énergie avec le transfert de quantité de mouvement qui décrit la probabilité de diffusion inélastique en fonction du transfert de quantité de mouvement[5].
Mesures expérimentales de l'IMFP
Pour mesurer l'IMFP, une méthode bien connue est la spectroscopie du pic élastique (en anglais : elastic-peak electron spectroscopy, ou EPES)[5],[7]. Cette méthode mesure l’intensité des électrons rétrodiffusés élastiquement, avec une certaine énergie et dans une certaine direction, depuis un échantillon de matériau. En appliquant une technique similaire à des matériaux pour lesquels l'IMFP est connu, les mesures sont comparées aux résultats des simulations Monte Carlo dans les mêmes conditions. Ainsi, on obtient l'IMFP d'un certain matériau pour un certain spectre d'énergie. Les mesures EPES montrent une différence de la moyenne quadratique de 12 % à 17 % par rapport aux valeurs théoriques attendues[5]. Les résultats calculés et expérimentaux montrent un meilleurs accord aux énergies les plus élevées[5].
Pour des électron ayant des énergies comprises entre 30 keV et 1 MeV, l'IMFP peut être directement mesurée par spectroscopie de perte d'énergie des électrons à l'intérieur d'un microscope électronique en transmission, à condition que l'épaisseur de l'échantillon soit connue. De telles expériences révèlent que l'IMFP dans les solides élémentaires n'est pas une fonction lisse, mais une fonction oscillante du numéro atomique[8].
Pour des énergies inférieures à 100 eV, l'IMFP peut être évalué en utilisant des expériences mesurant le rendement des électrons secondaires (en anglais secondary electron yield, ou SEY) à haute énergie[9]. Pour cela, l'analyse du SEY est faite pour des énergies incidentes arbitraires comprises entre 0,1 keV et 10 keV. Ces expériences montrent qu'il est possible d'utiliser une méthode de Monte Carlo pour simuler les SEY et déterminer l'IMFP en dessous de 100 eV.
Formules prédictives
En utilisant le formalisme diélectrique[4], l'IMFP peut être calculé en résolvant l’intégrale suivante :
-
(1)
-
Dans cette expression, et sont respectivement la perte d'énergie minimale et la perte d'énergie maximale, est la permittivité diélectrique, est la fonction de perte d'énergie et sont le plus petit et le plus grand transfert de quantité de mouvement. En général, cette intégrale est difficile à résoudre et elle n'est utilisée que pour des énergies supérieures à 100 eV. En conséquence, des formules semi-empiriques ont été introduites pour déterminer l'IMFP.
Une première approche consiste à calculer l'IMFP à l'aide d'une forme approximative de la formule relativiste de Bethe pour la diffusion inélastique des électrons dans la matière[5],[10]. L'équation suivante est valable pour les énergies comprises entre 50 eV et 200 keV :
-
(2)
-
avec
et
où (en eV) est l'énergie des électrons au-dessus du niveau de Fermi (pour les conducteurs) ou au-dessus du bas de la bande de conduction (pour les non-conducteurs), est la masse de l'électron, est la vitesse de la lumière dans le vide, est le nombre d'électrons de valence par atome ou par molécule, décrit la densité (en ), est la masse atomique ou moléculaire et , , et sont des paramètres déterminés plus loin. L'équation (2) permet de calculer l'IMFP et sa relation avec l'énergie de l'électron dans la matière condensée.
L'équation (2) a été développée plus en détails[5],[11] pour calculer les paramètres , , et pour les énergies comprises entre 50 eV et 2 keV. On obtient :
-
(3)
-
Dans ces expressions, l'énergie de la bande interdite est donné en eV. Les équations (2) et (3) sont connues sous le nom d'équations TTP-2M et sont valables pour des énergies comprises entre 50 eV et 200 keV. En négligeant quelques matériaux (diamant, graphite, Cs, c-BN et h-BN) qui ne suivent pas ces expressions en raison d'un écart sur ), les équations TTP-2M sont en accord précis avec les mesures.
Une autre approche basée sur l'équation (2) pour déterminer la valeur de l'IMFP est la formule S1[5],[12], qui s'applique pour des énergies comprises entre 100 eV et 10 keV :
où est le numéro atomique (numéro atomique moyen dans le cas d'un composé), ou ( est la chaleur de formation du composé en eV par atome) et est la distance moyenne entre les atomes, que l'on calcule par :
où est le nombre d'Avogadro et et sont les coefficients stœchiométriques décrivant les composés binaires . Dans ce cas, le numéro atomique devient :
où et sont les numéros atomiques des deux constituants. La formule S1 est en meilleur accord avec les mesures que l'équation (2)[5].
Le calcul de l'IMFP en utilisant la formule TTP-2M ou la formule S1 nécessite la connaissance de différents paramètres[5]. La formule TTP-2M demande de connaître , et pour les matériaux conducteurs, ainsi que pour les matériaux non-conducteurs. La formule S1 nécessite le numéro atomique (numéro atomique moyen dans le cas des composés), et pour les matériaux conducteurs. Si l’on considère des matériaux non conducteurs, il faut également connaître soit soit .
Une formule analytique pour calculer l'IMFP jusqu'à des énergies aussi petites que 50 eV a été proposée en 2021[4]. Pour se faire, un terme exponentiel a été ajouté à une formule analytique déjà dérivée de l'expression (1) qui était applicable pour des énergies au-dessus de 500 eV :
-
(4)
-
Pour des électrons relativistes, on obtient :
-
(5)
-
où la vitesse des électrons est donnée par avec et est la vitesse de la lumière. Dans cette expression, et sont exprimés en nanomètres. Les constantes intervenant dans les expressions (4) et 5) sont définies par :
Données relatives à l'IMFP
Les données relatives à l'IMFP peuvent être collectées à partir de la base de données Electron Inelastic-Mean-Free-Path de l'Institut national des normes et de la technologie (en anglais : National Institute of Standards and Technology, ou NIST) des États-Unis[13] ou de la base de données NIST pour la simulation des spectres électroniques pour l'analyse des surfaces (en anglais : simulation of electron spectra for surface analysis, ou SESSA)[14]. Les données contiennent les IMFP déterminés par EPES pour des énergies inférieures à 2 keV. Sinon, les IMFP peuvent être déterminés à partir de la formule TPP-2M ou S1[5].
Voir également
Notes et références
Notes
Références
- M. P. Seah et W. A. Dench, « Quantitative electron spectroscopy of surfaces: A standard data base for electron inelastic mean free paths in solids », Surface and Interface Analysis, (DOI 10.1002/sia.740010103), p. 2–11
- Egerton, R. F. (1996) Electron energy-loss spectroscopy in the electron microscope (Second Edition, Plenum Press, NY) (ISBN 0-306-45223-5)
- Wolfgang S. M. Werner, « Review of electron transport in solids », Surface and Interface Analysis, (DOI 10.1002/sia.973, S2CID 95869994), p. 141–176
- Le et Nguyen-Truong, « Analytical Formula for the Electron Inelastic Mean Free Path », The Journal of Physical Chemistry C, vol. 125, no 34, , p. 18946–18951 (DOI 10.1021/acs.jpcc.1c05212, S2CID 238685492)
- Powell, « Practical guide for inelastic mean free paths, effective attenuation lengths, mean escape depths, and information depths in x-ray photoelectron spectroscopy », Journal of Vacuum Science & Technology A, vol. 38, no 23209,
- Penn, « Electron mean-free-path calculations using a model dielectric function », Phys. Rev. B, vol. 35, no 482, , p. 482–486 (PMID 9941428, DOI 10.1103/PhysRevB.35.482, Bibcode 1987PhRvB..35..482P)
- Powell et Jablonski, « Evaluation of Calculated and Measured Electron Inelastic Mean Free Paths Near Solid Surfaces », J. Phys. Chem. Ref. Data, vol. 28, no 1, , p. 19–28 (DOI 10.1063/1.556035, Bibcode 1999JPCRD..28...19P)
- Iakoubovskii, Mitsuishi, Nakayama et Furuya, « Mean free path of inelastic electron scattering in elemental solids and oxides using transmission electron microscopy: Atomic number dependent oscillatory behavior », Physical Review B, vol. 77, no 10, , p. 104102 (DOI 10.1103/PhysRevB.77.104102, Bibcode 2008PhRvB..77j4102I, lire en ligne)
- Ridzel, Astasauskas et Werner, « Low energy electron inelastic mean free path values determined from analysis of secondary electron yields in the incident energy range of 0.1–10 keV », Journal of Electron Spectroscopy and Related Phenomena, vol. 241, , p. 146824 (DOI 10.1016/j.elspec.2019.02.003, S2CID 104369752)
- Shinotsuka, Tanuma, Powell et Penn, « Calculations of electron inelastic mean free paths. X. Data for 41 elemental solids over the 50 eV to 200 keV range with the relativistic full Penn algorithm », Surface and Interface Analysis, vol. 47, no 9, , p. 871 (DOI 10.1002/sia.5789, S2CID 93935648, lire en ligne)
- Tanuma, Powell et Penn, « Calculations of electron inelastic mean free paths. V. Data for 14 organic compounds over the 50–2000 eV range », Surface and Interface Analysis, vol. 21, no 3, , p. 165-176 (DOI 10.1002/sia.740210302, lire en ligne)
- Seah, « An accurate and simple universal curve for the energy-dependent electron inelastic mean free path », Surface and Interface Analysis, vol. 44, no 4, , p. 497 (DOI 10.1002/sia.4816, S2CID 93786577)
- Powell et Jablonski, « NIST Electron Inelastic-Mean-Free-Path Database », NIST Standard Reference Database 71, (lire en ligne)
- Werner, Smekal et Powell, « NIST Database for the Simulation of Electron Spectra for Surface Analysis, Version 2.1 », NIST NSRDS 100, (lire en ligne)