Le massacre de Sharpeville est un épisode de répression policière dans l'Afrique du Sud durant l'apartheid. Il a eu lieu le à Sharpeville, un township (nom donné à une banlieue noire) de Vereeniging, dans le Transvaal, et s'est soldé par la mort de 69 manifestants noirs.
Historique
Le , Robert Sobukwe, président du Congrès panafricain d'Azanie (PAC), appelle à des manifestations non violentes dans tout le pays le pour contester les « pass » (passeport intérieur), demander leur abrogation et l’augmentation de la rémunération de base de la journée de travail[1]. Les manifestants sont appelés à se réunir devant les postes de police et à se porter volontaires à l’arrestation pour « non-port du pass ». Le but est que tous les postes de police soient rapidement débordés et incapables de procéder aux arrestations et aux emprisonnements. Il s'agit aussi pour le PAC de s'imposer face à son rival, le Congrès national africain (ANC)[2].
Le 21 mars, les militants du PAC agirent dans tout le pays (Soweto, où Sobukwe est arrêté et emprisonné, Langa et Marcha au Cap, la région du Vaal notamment Boipatong et Bophelong). Près de Vereeniging, dans le township de Sharpeville, les militants du PAC immobilisèrent les transports en commun, bloquant les banlieusards dans leur township. Ces derniers furent alors nombreux à venir manifester pacifiquement leur colère devant le commissariat pour y brûler leurs documents d'identités controversés[2].
Sharpeville était un township calme qui avait échappé à l’influence de l’ANC et n’avait jamais participé à aucun des grands mouvements anti-apartheid des années 1950[3]. Pour cette raison, un poste de police avait été construit en son centre, comptant une petite trentaine d’agents permanents. Le , des centaines de gens se regroupèrent autour de ce poste de police. Se sentant vite dépassés, débordés et barricadés dans leur petit immeuble, les quelques policiers du poste reçurent des renforts des brigades de Vanderbijlpark et de Johannesburg. Le commandement du poste de police avait pour seule consigne de disperser la foule des manifestants, mais celle-ci comptait maintenant entre 3 000 à 5 000 personnes. Trois chars furent dépêchés du township, tandis que des avions effectuaient des survols pour tenter d'impressionner et de disperser pacifiquement la foule. Celle-ci, formant par endroits une masse compacte, était composée pour l’essentiel de femmes, d'enfants, de personnes âgées, d'ouvriers et d'employés. Leurs rires et leur bonne humeur furent pris par la police pour de l’agressivité à son égard et de la provocation. Une ligne de policiers fut placée face à l’entrée du poste, les armes chargées et la foule mise en joue[3].
Une interpellation à l’entrée du poste tourna mal. L'officier en fonction trébucha, provoquant un mouvement de curiosité de la foule vers l'avant, vers les policiers. Ce mouvement fut mal interprété : un coup de feu partit, suivi de rafales de tirs pendant une minute ou plus. La foule, stupéfaite, eut un mouvement de panique, tourna le dos et tenta d'échapper aux balles[3].
On releva 69 morts et, parmi les 178 blessés, un nombre très impressionnant de blessures par balles dans le dos, à la tête ou à la poitrine.
Conséquences
Lorsque la nouvelle parvint au Cap, les bulletins d’informations à la radio et les journaux du soir mirent l’événement à leur une[4]. La foule de Langa, en colère, détruisit des bâtiments publics. L'événement déclenche une grève générale le malgré les interdictions et mises en garde du gouvernement d'Hendrik Verwoerd qui déclenche le processus pour interdire l'ANC et le PAC et décréter l'état d'urgence.
La répression est brutale, conduisant de nombreux militants noirs en prison ou en exil. Si, pour les partisans du gouvernement, ces évènements sont « l’expression de la menace réelle que la population noire fait peser sur l’Afrique du Sud », particulièrement sur la nation Afrikaner, pour le PAC, ils sont « l’expression des prémices de la révolution populaire en lutte contre la barbarie du régime »[4]. Cependant, le gouvernement Verwoerd devait prendre l’avantage de la crise pour procéder à l'établissement de la République () et sortir du Commonwealth[4].
En 1984, Sharpeville fait de nouveau la Une à la suite du lynchage d'un conseiller municipal noir. Cet évènement déclenche une vague de contestations et de manifestations dans tout le pays qui débouche en 1985 sur le durcissement des sanctions internationales imposées par l'ONU contre l'Afrique du Sud.
Six personnes accusées en raison de leur seule présence d'être responsables du lynchage sont condamnées à mort puis graciées par le président Pieter Botha à la suite d'une vaste campagne internationale « Save the Sharpeville Six Protest » (Sauvez les six de Sharpeville). Après la fin de l'Apartheid, elles sont peu à peu relâchées sans avoir été innocentées[5].
Hommages
En souvenir du massacre de Sharpeville, l'ONU a fait du la journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale[6].
Notes et références
- Lydia Samarbakhsh-Liberge, L’Afrique du Sud : histoire et enjeux de mémoire, Les remémorations du massacre de Sharpeville (21 mars 1960), Consensus mémoriel au cœur des évolutions du nationalisme sud-africain, EHESS, Colloque Université de Bucarest 2006, p 5-6).
- L. Samarbakhsh-Liberge, p 6.
- L. Samarbakhsh-Liberge, p 7.
- L. Samarbakhsh-Liberge, p 8.
- Patrick Noonan, They're Burning the Churches : The Final Dramatic Events that Scuttled Apartheid, Jacana Media, , 285 p. (ISBN 978-1-919931-46-3, lire en ligne), p. 49
- Racial discrimination day sur le site de l'ONU
Annexes
- Grève des mineurs à Marikana
- Résolution 134 du Conseil de sécurité des Nations unies
- Commission de la vérité et de la réconciliation (Afrique du Sud)