Regietheater (« théâtre de metteur en scène » en français) est un terme de la critique théâtrale apparu dans les années 1970. On parle de Regitheater à propos d'une mise en scène lorsque les idées du metteur en scène ont une influence sur la représentation que le critique juge excessive par rapport aux idées de l'auteur, des interprètes ou, dans le théâtre musical, du compositeur, des chanteurs ou du chef d'orchestre.
Le terme de Regietheater peut être malvenu dans la mesure où même les critiques les plus virulents ne s'opposent pas à la nécessité d'un metteur en scène. Toutefois, la question de savoir si une mise en scène a besoin aujourd'hui d'un metteur en scène qui apporte sur scène une interprétation de l'œuvre valable pour son époque ou alors qui s'en remet pour l'interprétation de l'œuvre à un public considéré comme adulte, ou encore dans quelle proportion les deux exigences apparemment opposées peuvent être satisfaites dans une mise en scène, est largement controversée.
Critique du Regietheater, ou théâtre de metteur en scène
Parmi les principaux reproches adressés à une mise en scène pouvant conduire à la qualifier de Regietheater, on trouve les suivants :
- La mise en scène se détourne des intentions de l'auteur (dans le théâtre musical, également : du compositeur) et/ou fait du petit bois des indications scéniques. Dans ce contexte, sont notamment critiqués : les ajouts et/ou les coupes arbitraires, le déplacement de l'action vers un autre lieu ou à une autre époque, les changements touchant à la distribution et à l'intrigue. Ce qui est critiqué est le fait que ces changements sont opérés pour souligner un point de vue politique particulier ou un parallèle moderne sans rapport avec les intentions du créateur de l'œuvre ;
- La mise en scène détourne l'attention du contenu réel de l'œuvre. Ce reproche est particulièrement répandu dans le domaine du théâtre musical, où les metteurs en scène sont parfois accusés de détourner l'attention de la musique, mais il se retrouve également dans le théâtre parlé, où il se réfère généralement à l'insertion de scènes qui n'ont rien à voir avec l'œuvre proprement dite ;
- La mise en scène contient des caractéristiques dont l'œuvre peut se passer. Dans ce contexte, on critique par exemple l'irruption gratuite de la nudité ou une brutalité disproportionnée.
Pour le critique de théâtre Peter Kümmel[1], le Regietheater détermine également de manière néfaste la conception des rôles et l'action de nombreux acteurs. Le milieu est marqué par la lutte contre la traditionnelle « audition ». Souvent, les acteurs donnent l'impression de devoir protéger les spectateurs de la pièce, de la tradition de représentation et de l'auteur mort : « L'artiste de scène typique d'aujourd'hui semble toujours sur le point d'abandonner le costume de son personnage. Il est en constante révolte contre ce personnage - voire contre l'obligation de jouer un rôle en soi. Il pense qu'il ne sera plus pris au sérieux s'il prend son métier très au sérieux. Il est dans le pétrin ; un homme non libre, contraint à l'ironie ». Derrière lui, en tant qu'éminence grise et « homme véritablement libre dans tout le système », se trouve le metteur en scène, « celui qui "extrait" des pièces les personnages et les motifs qui "l'intéressent" ». Peter Kümmel considère que les comédiens sont livrés à de nombreuses contraintes du système dans leurs exigences artistiques ; ils vivent souvent leur profession plus comme une corvée due à leur seigneur que comme une activité artistique.
Les temps de production sont de plus en plus courts, les metteurs en scène renoncent de plus en plus souvent à viser un certain art du jeu (ou de la vérité) comme objectif de représentation, parce qu'ils ne croient plus du tout pouvoir l'atteindre avec le niveau de perfection présenté par Netflix.
Évolution du terme
Par la suite, les partisans de ces formes de mise en scène récupèrent de plus en plus le terme de Regietheater en lui donnant une connotation positive. Les metteurs en scène qui s'inscrivent dans cette démarche soulignent ainsi la nécessité, selon eux, de réinterpréter les œuvres du passé. L'idée sous-jacente est que le public d'aujourd'hui est socialisé différemment du public qui a assisté aux premières représentations d'une œuvre[pas clair]. Il faut donc s'adresser à lui différemment pour obtenir le même effet. La profession de foi d'un metteur en scène en faveur du Regietheater implique notamment l'idée que les moyens stylistiques critiqués ci-dessus, tels que les ajouts et/ou les coupes, le déplacement de l'action, etc. sont absolument nécessaires à cette fin.
Ce type de profession de foi consciente en faveur du Regietheater et la tentative qui en découle d'ôter au terme sa connotation négative sont particulièrement marqués dans les pays germanophones. Parmi les metteurs en scène de premier plan qui adoptent cette approche, on trouve entre autres Hans Neuenfels et Peter Konwitschny.
Exemples
Les exemples trouvés dans les productions du Regietheater peuvent inclure tout ou partie des éléments suivants :
- Déplacer l'histoire du lieu et temps d'origine vers une période plus moderne (y compris le placement dans un régime totalitaire)[2]
- Modifications de l'histoire par rapport au scénario original[3].
- Les éléments interprétatifs soulignant le rôle de l'oppression basée sur la race / le genre / la classe sont mis en avant. Dans sa mise en scène de 1976 du cycle du Ring de Richard Wagner au Festival de Bayreuth, Patrice Chéreau a utilisé un décor actualisé du XIXe siècle qui s'inscrivait dans l'interprétation de George Bernard Shaw, lequel voyait dans le " Ring " un commentaire social sur l'exploitation de la classe ouvrière par les riches capitalistes du XIXe siècle[4]. Patrice Chéreau a donc cherché à rendre manifeste un sous-texte anti-capitaliste et marxiste reconnu comme présent dans l'œuvre compte tenu de l'époque de sa création originale : suivant cette conception, les Filles du Rhin espiègles de Wagner sont donc devenues des prostituées en haillons exerçant leur métier près d'un barrage hydroélectrique, les dieux sont une famille d'industriels de la fin du XIXe siècle, et Siegfried a utilisé un marteau à vapeur industriel pour forger son épée[5].
- Abstraction de la scénographie[6]
- Un accent sur la sexualité[7]
- Des costumes qui souvent appartiennent à plusieurs époques et lieux différents. Les exemples incluent la production 2010 des Noces de Figaro de Mozart et de son Don Giovanni' de 2011 à l'Opera Theatre of Saint Louis (en), qui présentent certains personnages en tenues du XVIIIe siècle et d'autres habillés comme au milieu du XXe siècle.
Le Regietheater à l'opéra
Jusqu'au début du XIXe siècle environ, le compositeur et son public vivaient à la même époque et donc dans la même société. Les conventions et les "règles du jeu" théâtrales étaient généralement claires, que ce soit pour les interprètes ou pour les spectateurs. Au XIXe siècle, toutefois, on a commencé à reprendre des œuvres plus anciennes : un décalage s'est manifesté entre le style théâtral au moment de la reprise et le style en vigueur au moment de la création de l'œuvre du fait de l'évolution des regards sur les sujets, thèmes et motifs, ainsi que de la mise en œuvre de moyens techniques différents (touchant même la conception des instruments, et la façon d'en jouer).
Les œuvres de Mozart, par exemple, ont été nettement romancées et dénaturées au XIXe siècle. Plus la création et la représentation d'une œuvre étaient éloignées dans le temps, plus l'interprétation d'une œuvre était nécessaire. C'est ainsi qu'est apparu le métier de metteur en scène, c'est-à-dire de directeur artistique d'une représentation d'opéra, qui détermine la manière de jouer et l'esthétique de l'œuvre en collaboration avec le chef d'orchestre.
La fidélité à l'œuvre et le théâtre de metteur en scène sont des expressions qui permettent de résumer deux positions opposées sur la représentation de l'opéra aujourd'hui, leur confrontation suscitant souvent l'apparition de controverses parmi les spectateurs et les artistes.
La fidélité à l'œuvre
Les partisans de l'idée qu'un opéra doit être représenté "fidèlement" estiment que les intentions des auteurs d'une œuvre doivent être respectées. Comme ces auteurs ne sont généralement plus en vie et qu'il n'existe aucun enregistrement sonore ou visuel de leur époque, il n'est pas toujours facile de bien cerner ces intentions (même si des auteurs comme Richard Wagner ont écrit des instructions de mise en scène très précises). Souvent, le postulat de la fidélité à l'œuvre se réfère donc à une tradition de représentation, notamment celle de la première moitié du XXe siècle, et les critères d'évaluation d'une mise en scène ne reposent parfois que sur le décor et les costumes.
Théâtre de metteur en scène
Chez de nombreux metteurs en scène, le rapport à l'époque et à la société actuelles ou à leur propre personne est au premier plan lors d'une représentation d'opéra. Souvent, ceux-ci essaient de choisir une création qui a un rapport évident avec l'époque actuelle, que ce soit visuellement ou dans la façon contemporaine d'envisager les choses. Des aspects de l'œuvre qui n'étaient clairement compréhensibles qu'à l'époque de sa création sont interprétés - ou réinterprétés, voire reliés à des situations et des lieux que les compositeurs et librettistes originaux n'auraient pas pu concevoir, plaçant ainsi l'histoire dans un contexte auquel le public contemporain peut s'identifier. Les représentations de ces metteurs en scène peuvent prendre le caractère d'adaptations d'œuvres, où l'interprétation personnelle du metteur en scène recouvre l'œuvre elle-même.
Aujourd'hui, chaque représentation d'opéra se situe entre ces deux pôles. L'exigence de la plupart des artistes dans le domaine de l'opéra est cependant de rendre justice à la fois à l'œuvre et à la réalité d'aujourd'hui. Le metteur en scène Adolf Dresen a formulé à ce sujet (en substance) : La fidélité à l'œuvre est aussi néfaste pour un opéra que le détournement de l'œuvre. Une autre phrase volontiers citée en référence à la discussion sur le thème de la fidélité à l'œuvre dit : la tradition est la transmission du feu, et non l'adoration des cendres.
Le cas Wagner
Bayreuth offre un défi sans cesse renouvelé aux metteurs en scène : le canon des œuvres jouées au festival de Bayreuth se limite depuis plus de 100 ans aux dix mêmes opéras, la réinterprétation des œuvres dans l'"atelier de Bayreuth" passe donc au premier plan.
On peut affirmer que le Regietheater a commencé avec le travail de Wieland Wagner (1917-1966), qui, dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, a répondu à la profonde problématisation de l'œuvre de son grand-père, Richard Wagner, résultant de son appropriation antérieure par les nazis, en concevant et en produisant des mises en scène minimalistes et fortement symboliques des opéras de Wagner au Palais des festivals de Bayreuth et ailleurs. Guidées par les théories d'Adolphe Appia, les productions de Wieland Wagner cherchaient prétendument à souligner les aspects épiques et universels des drames de Wagner, et étaient justifiées comme des tentatives d'explorer les textes du point de vue de la psychologie des profondeurs (souvent Jung). En pratique, cela signifie, par exemple, que le premier acte de Die Walküre (la deuxième œuvre du cycle), spécifiquement décrit comme se déroulant dans la cabane de Hunding dans la forêt, a été présenté sur une scène en forme de grand disque incliné, sans la moindre cabane, et les nombreuses instructions détaillées laissées par le compositeur au sujet de ce que font Wehwalt, Sieglinde et Hunding dans la cabane ont été ignorées, considérant que les détails de la partition signifiaient qu'elles étaient déjà illustrées musicalement.
Controverses
L'essor du déconstructionnisme a donné un nouveau souffle au Regietheater en Europe et ailleurs. Les déconstructionnistes américains les plus en vue comprennent Peter Sellars et David Alden. Parmi les autres metteurs en scène souvent associés au Regietheater figurent Walter Felsenstein et Christopher Alden (director) (en). Alden déclare : "L'opéra ressemble beaucoup à l'Église catholique par la manière dont les gens lui sont dévoués et par le fait que, pour beaucoup de gens, il est aussi saint, aussi sacro-saint et aussi intouchable que la religion. En ce sens, je pense qu'il est toujours nécessaire de continuer à briser ces idoles et d'essayer de dépasser cette idolâtrie - afin de pouvoir atteindre des choses qui sont peut-être plus proches de l'os, et plus humaines."[8] Calixto Bieito[9], Harry Kupfer, David Pountney (en) et Claus Guth, ont également appliqué de tels principes à un large éventail d'opéras des périodes classique et romantique.
Ces dernières années, la nomination de metteurs en scène "célèbres" (souvent issus du cinéma ou d'autres branches du théâtre), qui ne semblent pas avoir appris les exigences spécifiques de la mise en scène d'opéra y compris, dans certains cas, ceux qui ont affiché leur incapacité à lire la musique, et qui semblent incapables de diriger les chanteurs au-delà des clichés du Regietheater (impliquant souvent des éléments destinés à choquer le public de manière gratuite), a conduit à une mauvaise compréhension générale du terme Regietheater par les théâtres et les critiques.
Les opposants accusent ces producteurs de superficialité, de crudité, de sensationnalisme, d'absence de réelle créativité, d'insensibilité à la richesse du cadre original, de négligence du rôle joué par la musique et d'assouvissement des appétits de la presse de caniveau. De plus en plus, cependant, les critiques font la distinction entre l'application " correcte " des principes du Regietheater et l'utilisation gratuite et niaise de ses clichés[10].
Notes et références
- (en) « Peter Kümmel », sur Akademie Schloss Solitude, (consulté le ).
- . Neil Fisher, The Times (Londres), 12 mai 2006 (abonnement requis) : " Prenez sa Tosca pour Opera North, où chaque acte se déroulait dans un sous-sol d'église miteux et où Scarpia était un larbin de Berlusconi vêtu d'un imper sale. Ou les danses espagnoles colorées de La vida breve de Manuel de Falla, réimaginé de manière obsédante par Alden pour la même compagnie comme un suicide rituel dans un atelier de misère. Ou son adaptation désormais classique de Turandot pour l'Opéra national du pays de Galles et l'English National Opera, avec la princesse chinoise meurtrière en talons aiguilles et costume de femme de pouvoir à la Maggie Thatcher.
- Stephen Moss, "Twin Powers", The Guardian (Londres), 26 mai 2006 : Christopher [Alden] a produit Rigoletto pour l'opéra lyrique de Chicago en 2000, mais certains bailleurs de fonds influents l'ont qualifié de "trash" et il n'a jamais été repris. Cette production, qu'il a située dans un club de gentlemen à l'époque de la reine Victoria et transformée en examen de moralité sexuelle, semble avoir terni sa réputation auprès des directeurs d'opéra soucieux de ne pas offenser leur public en ces temps de difficultés financières et artistiques
- Bernard Shaw, The Perfect Wagnerite (1883) sur www.marxists.org En ce qui concerne les tendances socialistes de Wagner (qui l'ont forcé à s'exiler en Suisse et en France), Shaw écrit que "nous sommes arrivés au point où une personne stupide ne manquera pas de nous interrompre en déclarant que L'or du Rhin est ce qu'ils appellent 'une œuvre d'art' pure et simple, et que Wagner n'a jamais rêvé d'actionnaires, de grands chapeaux, d'usines de céruse, et de questions industrielles et politiques examinées du point de vue socialiste et humanitaire." Plus tard, en résumant Le Ring : "il y a une partie considérable du Ring, surtout le portrait de notre système industriel capitaliste du point de vue socialiste dans l'esclavage des Nibelungen et la tyrannie d'Alberic, qui est indubitable, car il dramatise cette portion de l'activité humaine qui se trouve bien dans le territoire couvert par notre conscience intellectuelle .... Sa signification était aussi claire pour Wagner qu'elle l'est pour nous."
- Ring in a day : Review of DVD recordings of The Ring, BBC Radio 3, avril 2006, consulté le 28 juin 2013.
- Lisa Hirsch : "Two brilliant stars overcome bizarre and muddled staging in San Francisco Opera's Capuleti", 30 septembre 2012, theclassicalreview.com : " Les deux (DiDonato et Nicole Cabell (en)) formaient un splendide couple romantique. Ils auraient été encore plus réussis si la mise en scène avait été plus sympathique et centrée sur les personnages. Au lieu de cela, le metteur en scène Vincent Broussard, le scénographe Vincent Lemaire et le costumier Christian Lacroix, qui font tous leurs débuts à l'Opéra de San Francisco, ont monté une production Regie Lite (ou Regietheater Allégé) confuse et statique qui n'a ni diverti ni éclairé le sens de I Capuleti e i Montecchi de Bellini qu'aurait pu apporter une production conçue par un metteur en scène plus doué. La toute première scène dit à peu près tout ce qu'il faut savoir sur la production. Le décor est une boîte peu profonde avec des motifs abstraits projetés sur les murs."
- Fisher note : "Vous ne verrez jamais Christopher Alden noyer un opéra dans le cocktail de sexe, de drogue et de violence appliqué à l'envi par Calixto Bieito."
- In Fisher, The Times, 12 mai 2006
- html "Quelles sont les limites de la mise en scène ?" par Speight Jenkins (en), OperaSleuth, 14 juillet 2014
- A review on a Philadelphia production of Charles Gounod's Roméo et Juliette.
Liens externes
- Brian Robins : "Regietheater - La mort de l'opéra ?", janvier 2013.
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