Date | au |
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Lieu | autour de l'alcazar de Tolède (Espagne) |
Issue | Victoire nationaliste décisive |
/[1] Camp nationaliste • Phalangistes • Requetés carlistes |
République espagnole • CNT/FAI • UGT |
1 028 gardes civils, soldats, cadets et miliciens | entre 6 000 et 8 000 miliciens |
91 morts env. 455 blessés 22 disparus |
inconnues |
Coordonnées | 39° 51′ 30″ nord, 4° 01′ 14″ ouest | |
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Le siège de l'alcazar de Tolède est un épisode de la guerre d'Espagne et opposa les forces républicaines aux insurgés du coup d'État militaire des 17 et . Cette bataille fut un des combats les plus symboliques de la guerre. Elle vit s'affronter dans la ville de Tolède des miliciens fidèles au gouvernement de la République aux militaires qui s'étaient insurgés contre ce même gouvernement. Ces derniers furent forcés de se réfugier dans l'alcazar de Tolède, siège de l'Académie d'infanterie, cavalerie et intendance, avec leurs familles.
Le siège de l'alcazar commença au lendemain du coup d'État, le , et dura jusqu'à l'arrivée des troupes africaines du général nationaliste José Enrique Varela à Tolède, le , venu pour libérer les assiégés. Le général Franco entra dans la ville le lendemain. Il ne restait alors qu'un champ de ruines. L'alcazar fut reconstruit postérieurement et est devenu musée et siège des bureaux de l'armée espagnole.
Contexte
Depuis la nouvelle du coup d'État, , on se battait dans Tolède, mais la supériorité numérique des troupes loyales au gouvernement du général Riquelme et de la milice leur donne l'avantage. Le gouverneur militaire de la province de Tolède, le colonel José Moscardó[2], se rangea du côté des insurgés, sans rendre sa décision immédiatement publique. Aux ordres du gouvernement qui, les 19 et 20 juillet, lui demandait d'envoyer rapidement à Madrid des armes, des munitions et des produits pharmaceutiques qui étaient en dépôt à Tolède, il répondit par le silence.
Finalement, le , à 7 h du matin, le capitaine de l'académie militaire lut sur la place du Zocodover, au centre de la ville, une proclamation d'« état de guerre ». Il ordonnait l'arrestation des « activistes de gauche bien connus ». Mais, craignant l'arrivée de miliciens qui, partis de Madrid, s'approchaient, Moscardó décida de s'enfermer le 22 juillet dans l'alcazar de Tolède, alors siège de l'École des cadets, avec quelques centaines de civils et de militaires. Mais, le temps pressant, il ne put mettre à l'abri sa propre épouse, Doña Maria, qui s'était réfugiée chez un ami à la campagne, et deux de ses fils, Luis, âgé de 17 ans, et Carmelo, âgé de 14 ans.
Forces en présence
Forces nationalistes
Le colonel Moscardó avait eu le temps d'entasser des réserves avant de s'enfermer dans l'alcazar. On y avait emmagasiné ainsi 1 300 000 cartouches, 1 200 fusils, 38 mitrailleuses et fusils-mitrailleurs et un mortier. Pour ravitailler la population des assiégés, on avait entassé du blé et des conserves, suffisantes au prix d'un sévère rationnement. L'eau était prélevée dans les citernes, mais fut rationnée à raison d'un litre par personne et par jour pour la boisson, la lessive et la toilette.
Moscardó était entouré de 847 gardes civils, 185 officiers et élèves de l'École de gymnastique, 85 phalangistes et militants d'extrême droite et 6 cadets de l'École militaire (qui, à cette époque de l'année, était en vacances). Ces militaires étaient accompagnés de 600 femmes et enfants, pour la plupart parents des assiégés, ou d'autres Tolédans, 200 « notables », 3 sœurs de la Charité et leur supérieure, mère Josepha, ainsi que deux médecins de l'armée et un chirurgien-major.
Enfin, le colonel s'empara aussi de la personne du gouverneur civil, Manuel Gonzalez Lopez, « avec toute sa famille et une centaine de personnes appartenant aux milieux politiques d'extrême gauche, comme otages ». Il y avait donc en tout quelque 2 000 personnes qui logeaient dans l'alcazar, véritable dédale de chambres, hautes salles, galeries et souterrains derrière des murailles de 3,5 mètres d'épaisseur.
Les écuries contenaient encore 177 chevaux et 30 mulets. Leur nombre diminua graduellement, les animaux servant de viande de boucherie : au jour de la délivrance, il n'en restait plus que 10. Faute de sel, on saupoudrait les quartiers de viande avec du salpêtre gratté sur les murs[3].
Forces républicaines
Les troupes républicaines étaient composées d'environ 8 000 miliciens, chargés de tenir la province de Tolède. Ils étaient issus des milices confédérales de la CNT et de la FAI ou des milices de l'UGT.
Ils étaient équipés de plusieurs pièces d'artillerie, de quelques voitures blindées et de 2 ou 3 chars. L'aviation républicaine leur servit à mener des missions de reconnaissance, mais également à bombarder l'alcazar, qui supporta des bombardements en 35 occasions.
Combats
Affaire Luis Moscardó (22-23 juillet)
Le , les républicains contrôlaient la plus grande partie de la ville de Tolède. Ils cherchèrent tout d'abord à obtenir la reddition des défenseurs de l'alcazar : les ministres de l'Éducation et de la Guerre, puis le général Riquelme, téléphonèrent tour à tour au colonel Moscardó, sans succès. Le 23 juillet, Candido Cabello, chef des milices, aurait appelé par téléphone Moscardó et l'aurait menacé de fusiller son fils de dix-sept ans, Luis, fait prisonnier le matin même. Moscardó ayant refusé de céder au chantage, les Républicains auraient exécuté Luis Moscardó[4].
C'est le journaliste pro-communiste américain Herbert Matthews qui, en 1957, a le premier contesté ce récit[5]. Cette version de l'histoire présente effectivement une similitude étonnante avec la légende du XIIIe siècle d'Alonso Pérez de Guzman (1256-1309), dit Guzman el Bueno, qui sacrifia aussi la vie de son fils, devant les murs de la forteresse de Tarifa assiégée par les musulmans au temps de la Reconquista. Herbert Matthews est depuis suivi par nombre d'historiens, Vilanova, Philippe Nourry, Paul Preston. Le journaliste et polémiste de gauche Herbert Southworth s'efforce de démontrer que la mort de Luis n'avait rien à voir avec le siège de l'alcazar : Luis Moscardó aurait été exécuté le à la puerta del Cambrón avec 80 autres prisonniers, en représailles d'un raid aérien[6].
Toutefois, plusieurs historiens ont rassemblé des éléments en faveur de l'historicité de cette conversation. Alfonso Bullón de Mendoza et Luis Eugenio Togores[7] affirment que la conversation a eu plusieurs témoins, du côté de Moscardó comme du côté de Cabello. De fait Hugh Thomas dans son Histoire de la guerre d'Espagne croit à la véracité du récit tout en donnant une version moins sensationnaliste de la conversation que celle répandue sur le moment[8]. À sa suite, Bartolomé Bennassar estime que l'entretien téléphonique entre José et Luis Moscardó a bien eu lieu[9], alors qu'il le considérait en 1995 comme « une pieuse légende »[10].
Quant à la ligne téléphonique, elle n'aurait pas été coupée, seulement les miliciens occupaient le central téléphonique de Tolède et en avaient le contrôle. Herbert Matthews, par la suite, a dit avoir fait erreur [réf. souhaitée].
Assauts et résistance (23 juillet-8 septembre)
Au fil des jours, Moscardó fut peu à peu supplanté au commandement du siège par le colonel de la Garde civile, Pedro Romero Bassart. Bien que la nourriture fût rare, il y avait de l'eau et des munitions. Les provisions furent même augmentées grâce à une razzia dans un grenier voisin, d'où furent rapportés deux mille sacs de blé. Du pain et de la viande de cheval composeront l'ordinaire de la garnison.
Les assiégés continuèrent même à avoir des loisirs. Ainsi, des dactylographes composaient quotidiennement le journal des assiégés, El Alcázar, simples feuillets frappés à la machine qui contenaient des reproductions de communiqués transmis par la radio, des listes de morts et de blessés ou des nouvelles de l'activité intérieure. Le 14 août, El Alcázar affichait le programme du lendemain, fête nationale de l'Assomption. Le 15 août, dans l'abri souterrain, les enfants purent applaudir le Cirque Alcázar.
L'effectif des attaquants républicains fluctuait entre 2 000 et 5 000. Il y avait parmi eux beaucoup de « touristes » de la guerre venant de Madrid pour passer l'après-midi. Mais les offensives républicaines furent, tout au long du mois d'août, constamment repoussées.
Pendant ce temps, les défenseurs de l'alcazar acquéraient un grand renom. Tandis qu'ils continuait de résister, plusieurs autres foyers de résistance nationalistes cédaient : la caserne de Loyola à Saint-Sébastien se rendit le , les gardes civils d'Albacete étaient écrasés le et la caserne des officiers de Valence prise d'assaut le . Le retentissement de la résistance de l'alcazar incita Francisco Franco à reporter l'offensive contre Madrid pour délivrer les assiégés : le , une défaite de l'armée républicaine à Calzada de Oropesa permit à la colonne du colonel Juan Yague, remplacée ensuite par celle du général José Enrique Varela, de marcher sur Tolède. Le , elle se trouvait à moins de 30 kilomètres, à Talavera de la Reina.
Propositions de cessez-le-feu (9-12 septembre)
Le , le commandant républicain Vicente Rojo Lluch, ancien professeur de l'Académie d'infanterie, transmit aux assiégés une proposition du gouvernement. Conduit devant Moscardó, il lui proposa d'accorder, en contrepartie de la reddition, la liberté à toutes les femmes et aux enfants et un jugement en conseil de guerre pour les hommes. Moscardó se montra irréductible[11].
Le , le père Enrique Vazquez Camarrasa, connu pour ses sympathies de gauche, se présenta pour une visite de trois heures. Il célébra la messe, écouta les participants en confession publique et se rendit au chevet des blessés pour leur donner l'absolution et les derniers sacrements. Avant de partir, il renouvela les propositions du commandant Rojo, toujours sans succès[12].
Le 12 septembre, c'est l'ambassadeur du Chili en Espagne, José Ramón Gutiérrez, qui chercha à s'entremettre, mais il essuya lui aussi un échec.
Derniers assauts républicains (13-23 septembre)
Du 16 au , les républicains entreprirent de mettre un point final à la résistance en creusant sous les murs d'enceinte, afin de poser des mines sous chacune des deux tours jouxtant la cité. On fit évacuer les civils en vue de l'assaut et on invita des correspondants de guerre à venir pour assister à la chute de l'alcazar.
Le à l'aube, 86 obus de 15,5 tombèrent sur l'alcazar. À 7 h du matin, la grande tour sud-ouest fut soufflée par l'explosion d'une mine actionnée par Francisco Largo Caballero en personne et s'écroula, mais ne causa que peu de pertes chez les combattants. Une deuxième mine placée sous la tour nord-est fit long feu. Près de 2 500 hommes et 1 500 miliciens parfaitement équipés avec deux chars blindés, un grand char d'assaut, un canon de 75, 16 mitrailleuses et neuf mortiers passèrent à l'attaque. Quatre attaques furent successivement lancées, mais elles furent toutes repoussées par les défenseurs de l'alcazar.
Les assauts reprirent le , mais n'avancèrent que lentement. À 5 h du matin, le , les Républicains s'emparèrent par surprise des bâtiments au nord, après avoir envoyé des bombes et des grenades. Repoussés, ils revinrent quelques heures plus tard avec un char. Après 45 minutes, l'assaut se solda par un nouvel échec.
Libération des assiégés (24-29 septembre)
Le , l'armée franquiste s'approcha à quelques kilomètres de Tolède. Craignant d'être encerclés, les Républicains commencèrent à abandonner la ville, et l'alcazar connut une certaine accalmie malgré quelques bombes et quelques tirs isolés. Au soir du , à 19 h, les éclaireurs des regulares du général José Enrique Varela entrèrent dans la ville.
Le lendemain, à l'aube, le général Varela, ganté de blanc, était salué sur l'esplanade par les combattants rangés en carré. Les talons joints au garde-à-vous, dans la pose réglementaire de l'officier faisant son rapport, Moscardó annonça à Varela, reprenant le mot de passe des insurgés aux premiers jours de l'insurrection :
- - « Sin novedad en el Alcázar, mi general » (« Rien de nouveau à l'alcazar, mon général »)[13].
Le , Franco vint, à son tour, exprimer à Moscardó et à ses compagnons la reconnaissance des nationalistes :
- - « Héros de l'alcazar, votre exemple demeurera vivant à travers les générations. La patrie vous doit une gratitude éternelle et l'histoire ne saura jamais assez vanter la grandeur de vos exploits ».
Un clairon sonna l'appel aux morts. À l'annonce de chaque nom, un camarade du défunt répondait : « Mort à l'alcazar ! »
Conséquences
Il y a eu en tout, d'après le journal intime de Moscardó, 86 soldats morts tous grades confondus, 455 blessés, deux morts naturelles, trois suicides et quelques disparitions (probablement des désertions). Par contre, il y a eu deux naissances.
Pendant que les vainqueurs se congratulent, les regulares « nettoient » les postes républicains. Ils s'emparent des miliciens, les dépouillent et les passent par les armes. Les hommes sont examinés pour vérifier leur implication dans des combats[14]. Les « Maures » pillent la ville, provoquant la fuite d'une partie de la population tolédane.
La victoire nationaliste de l'alcazar ne fut qu'un épisode de la guerre d'Espagne, mais il a marqué plus que tout autre la mémoire des hommes. Moscardó survécut vingt ans à son exploit. Général de l'armée d'Aragon, puis, la paix revenue, attaché militaire de Franco et capitaine général de l'Andalousie en 1946, nommé comte de l'alcazar en 1948, il meurt en 1956. Sa dépouille fut déposée dans la citadelle restaurée, dans la même tombe que son fils Luís.
Mobiles de Franco pour libérer l’alcazar
À Maqueda, presque aux portes de Madrid, Franco dévia une partie de ses troupes vers Tolède pour y désencercler l’alcazar, assiégé par les républicains. Cette décision controversée, qui laissa aux républicains le loisir de renforcer les défenses de Madrid, lui vaudra un grand succès personnel de propagande. L’alcazar était un foyer de résistance nationaliste où dans les premiers jours du soulèvement un millier de gardes civils et de phalangistes étaient allés se retrancher avec femmes et enfants, et d’où ils opposaient à leurs assaillants une résistance désespérée. Après les avoir libérés le , les partisans de Franco s’appliquèrent à transfigurer cette opération en légende, confortant encore la position de Franco parmi les chefs rebelles. Sa photo le montrant aux côtés de José Moscardó et de Varela occupé à parcourir les ruines de l’alcazar, et fort ému tandis qu’il serrait les survivants dans ses bras, fera le tour du monde et lui servira à se faire reconnaître comme le chef de l’insurrection militaire[15],[16].
Le choix stratégique de donner la priorité aux assiégés de l’Académie militaire de Tolède au détriment de Madrid a été critiquée, mais Franco était pleinement conscient du retard que causerait cette décision[17]. Il voulut profiter de l’effet qu’aurait sur son prestige le sauvetage de l’alcazar, à un moment où était débattue l’opportunité d’une direction militaire unique et où les généraux nationalistes devaient prendre une décision définitive sur l’unification du commandement militaire, et par extension, sur la nature du pouvoir politique qui allait être instauré dans la zone nationaliste, pouvoir politique dont Franco aspirait à devenir le dépositaire[18],[19] ; la raison politique lui avait dicté de délivrer les héros assiégés de Tolède et d’apparaître de la sorte comme leur libérateur[20]. Franco lui-même commenta à ce sujet que « nous avons commis une erreur militaire et l’avons commise délibérément. Prendre Tolède exigeait que nous déviions nos forces de Madrid. Pour les nationalistes espagnols, Tolède représentait un sujet politique qu’il fallait résoudre »[21]. D’autres, comme Kindelán, ont mis en avant un autre motif, à savoir l’accomplissement d’un devoir sacré, « un objectif de caractère spirituel », et ce sans préjudice majeur pour Madrid, qui n’aurait dû sa survie qu’à l’intervention « de forces internationales rouges », circonstance imprévisible à ce moment-là[22],[23]. Brian Crozier indique que Franco, ancien élève de l’Académie de Tolède, se sentait concerné affectivement par la menace qui pesait sur les cadets. En outre, la ville, longtemps capitale impériale de l’Espagne, était sur le plan symbolique un enjeu essentiel. Peut-être, avec le sens politique dont il commençait à faire preuve, préféra-t-il les vertus de la communication à celles de l’héroïsme hasardeux. D’autres auteurs, notamment Max Gallo, y ont perçu la manifestation du machiavélisme supérieur de Franco et la décision mûrement réfléchie de prolonger la guerre pour avoir le temps d’asseoir définitivement son pouvoir[24] : la prise de Madrid aurait été trop précoce et n’aurait pas permis d’écraser totalement l’adversaire ; pour atteindre cet objectif, il fallait que la guerre durât[25]. Si donc Franco s’attachait bien à organiser la victoire de son camp, il allait le faire sans hâte excessive, car il lui fallait laisser mûrir son prestige et asseoir son pouvoir[26]. Paul Preston souligne lui aussi que la prise de Madrid fin septembre eût sans doute signifié la fin de la guerre, rendant dès lors inutile de créer un commandement unique ; le Directoire des généraux aurait sans doute dû sans tarder résoudre le problème de la nature de l’État, avant que Franco eût obtenu la position privilégiée qu’il souhaitait[27]. Une déclaration faite par Franco en semble pointer dans le même sens :
« Dans une guerre civile, une occupation systématique du territoire, accompagnée du nettoyage nécessaire, est préférable à une défaite rapide des armées ennemies qui laisse le pays infesté d’adversaires »
— Francisco Franco[28].
Pour d’autres auteurs, la priorité donnée par Franco à la libération de l’alcazar était dans une certaine mesure fondée sur ses souvenirs du désastre d’Anoual de 1921, quand de grandes unités avaient été abandonnées à leur sort, et surtout sur sa conviction que les facteurs politiques et psychologiques avaient une importance particulière dans une guerre civile[29]. Ces auteurs démontent l’argument selon lequel Franco aurait commis une erreur opérationnelle très grave en retardant d’une semaine la marche sur Madrid afin de libérer l’alcazar, stratégiquement secondaire. Certes, au début d’octobre, Madrid n’avait pas de défenses fortes et aurait pu être prise facilement, avant que la situation militaire ne change une semaine après ; toutefois, on ignorait alors l’arrivée des armes soviétiques et du personnel spécialisé appelé à s’engager dans le combat quelques semaines plus tard ; jusqu’à fin octobre, c’est-à-dire quand les armes soviétiques et les spécialistes militaires étaient entrés en action en nombre significatif, Franco n’était pas conscient de l’ampleur de l’intervention soviétique[30]. D’autre part, il apparaît douteux qu’une avancée résolue et concentrée sur Madrid dès septembre, avec les flancs peu protégés, avec une logistique faible, et en dédaignant totalement les autres fronts, aurait permis à Franco de s’emparer rapidement de la capitale et de mettre ainsi un point final abrupt à la Guerre civile. En pratique, il était improbable que Franco adopte une stratégie aussi audacieuse, car elle allait à l’encontre de ses principes et de ses habitudes, et surtout de ce qu’il avait appris au Maroc[31]. De toute façon, il n’y avait pas, à la fin de septembre, de possibilité de lancer en toute sécurité un assaut immédiat sur Madrid, car Franco ne pouvait pas s’appuyer sur une concentration de troupes suffisante. Le retard d’un mois ne s’explique pas uniquement par la libération de l’alcazar, mais aussi, et principalement, par les ressources limitées des nationalistes, en plus de la nécessité d’affecter des renforts à d’autres fronts qui étaient en danger de succomber. Aucun élément probant ne vient à l’appui de la thèse que Franco avait pour principal motif, en libérant l’alcazar, de faire un gros coup de propagande pour cimenter sa candidature au commandement unique, d’autant plus que l’élection de Franco par la Junta de Defensa n’était en réalité nullement conditionnée par la libération de l’alcazar[32]. Enfin, en donnant, au détriment de l’assaut contre Madrid, la priorité à la conquête de la zone républicaine nord, enclavée, qui possédait la majeure partie de l’industrie lourde, les mines de charbon et de fer, une population qualifiée et la principale industrie d’armement, Franco faisait basculer l’équilibre des forces en sa faveur[33].
Quelles qu’aient été ses intentions, la libération de l’alcazar représente selon Andrée Bachoud « le coup médiatique de la Guerre civile. Toute guerre a besoin du symbole qui la transforme en geste : le siège de l’alcazar fournit la légende et les héros qu’il fallait à Franco et à son camp. C’est une formidable opération de communication, qui pour une partie de l’opinion étrangère effaça au moins partiellement le scandale des massacres »[34]. Quand Franco pénétra dans la citadelle libérée, il fut acclamé aux cris de « Vive Franco, vive l’Espagne ! »[35]. Aux approches de l’importante réunion du directoire militaire, aucune autre personnalité militaire ou civile dans le camp nationaliste ne pouvait faire concurrence à Franco, qui jouissait de la confiance des milieux conservateurs et capitalistes, et de l’armée[36].
Commando Alcazar
En , durant la guerre d'Algérie et à la suite de la semaine des barricades est créé, à Alger, le « commando Alcazar » composé de nationalistes français insurgés et dont le nom, choisi par Paul Delouvrier, est une référence directe au siège de l'alcazar.
Notes et références
- Il peut paraître surprenant que les deux camps aient le même drapeau, mais c'est seulement le que les forces rebelles, dirigées par la Junta de Defensa Nacional, décidèrent de rétablir le drapeau bicolore, rouge et or.
- José Moscardó est alors âgé de 58 ans. Il est gouverneur militaire, mais également directeur de l'École centrale de gymnastique de l'armée de Tolède.
- Georges Imann-Gigandet, « L'épopée de l'Alcazar », Historia hors-série n° 22, 1971, p. 96-105.
- La conversation téléphonique est ainsi relatée par Henri Massis et Robert Brasillach, personnalités du milieu littéraire français qui avaient pris clairement parti en faveur du camp nationaliste :
- « - Colonel Moscardó ? interroge une voix au bout du fil […]. Votre fils est notre prisonnier… Si vous ne vous rendez pas, nous le fusillerons.
- À peine le colonel Moscardó a-t-il répondu : Je ne me rendrai jamais ! qu'il reconnaît, au téléphone, la voix de son fils, un jeune homme de dix-huit ans qui faisait ses études d'ingénieur à Madrid et dont il ignorait qu'il fût à Tolède entre les mains de l'ennemi.
- - Père, entend-il soudain, les hommes qui sont là disent qu'ils vont me fusiller… Rassurez-vous, ils ne me feront rien…
- - Pour sauver ta vie, mon fils, ils veulent me prendre l'honneur et celui de tous ceux qui me sont confiés… Non, je ne livrerai pas l'alcazar… Remets donc ton âme à Dieu, mon enfant, et que sa volonté soit faite.
- […] D'une main tremblante, le colonel Moscardó n'a pas raccroché l'appareil qu'il entend un feu de salve déchirer l'air du soir, puis retentir jusqu'au fond du ravin qui cerne la citadelle.
- Les Rouges ont tué son fils, qui est mort en criant :
- - Vive l'Espagne ! Vive le Christ-Roi ! » (Robert Brasillach et Henri Massis, Les Cadets de l'alcazar, Plon, 1936, p. 1-3).
- Herbert Matthews, The Yoke and the Arrows, Éd. George Braziller, New York, 1957.
- Herbert Southworth, El mito de la Cruzada de Franco, Éd. Plaza & Janés, Barcelone, 2008, p. 92-120.
- Alfonso Bullon de Mendoza et Luis Eugenio Togores Sanchez, El Alcázar de Toledo. Final de una polémica, Madrid, 1997.
- Hugh Thomas, La guerre d'Espagne, édition définitive, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1985, p. 254 et p. 804 note 23.
- B. Bennassar (2004), p. 328.
- B. Bennassar (1995), p. 107, note 1.
- : « Vous me parlez d'humanité, dit [Moscardó]. Ma douleur de père pourrait déjà douter de vos sentiments. […] Vous m'assurez que ces femmes et ces enfants seraient traités par vous avec ménagement et auraient la vie sauve. Alors pourquoi vos orateurs, vos journaux expriment-ils leur volonté de vengeance jusque sur des innocents ! Je suis responsable de ces enfants, de ces femmes et du destin de l'alcazar. Rentrez à Tolède et portez à vos amis ma réponse : jamais l'alcazar ne se rendra ! […] Un seul désir : nous voulons un prêtre ! » (Robert Brasillach et Henri Massis, Les Cadets de l'alcazar, Plon, 1936).
- : « - Mon père, dit alors Moscardó, je commande ici mes soldats, non des femmes et des mères. C'est donc à elles seules qu'appartient la décision.
La réponse de ces mères fut unanime :
- - Nous n'abandonnerons jamais nos maris. Nous garderons nos enfants près de leurs pères. Nous lutterons et mourrons avec eux, s'il le faut. Nous n'abandonnerons l'alcazar qu'après la victoire ! » (Robert Brasillach et Henri Massis, Les Cadets de l'alcazar, Plon, 1936).
- Georges Imann-Gigandet, art. cit., p. 105.
- Afin de vérifier quels hommes s'étaient servis d'un fusil, on arrachait sa chemise pour vérifier si son épaule avait été rougie par le recul du fusil. Si oui, il était fusillé sur-le-champ.
- P. Preston (1994), p. 223
- C. Fernández Santander (1983), p. 75
- P. Preston (2004), p. 206
- P. Preston (2004), p. 207
- J. P. Aizpurua Fusi (1988), p. 44-45.
- G. Hermet (1989), p. 99
- P. Preston (2004), p. 212
- (es) Alfredo Kindelán, Mis cuadernos de guerra (1936-1939), Madrid, Plus Ultra, , p. 462
- A. Bachoud (1997), p. 134
- A. Bachoud (1997), p. 134-135
- B. Bennassar (1995), p. 107
- G. Hermet (1989), p. 175
- B. Bennassar (1995), p. 108
- Cité par B. Bennassar (1995), p. 107.
- S. Payne & J. Palacios (2014), p. 180
- S. Payne & J. Palacios (2014), p. 176 & 181
- S. Payne & J. Palacios (2014), p. 169
- S. Payne & J. Palacios (2014), p. 181
- S. Payne & J. Palacios (2014), p. 226
- A. Bachoud (1997), p. 135
- A. Bachoud (1997), p. 136
- A. Bachoud (1997), p. 136-137
Voir aussi
Bibliographie
- Henri Massis et Robert Brasillach, Les Cadets de l'alcazar, Plon, Paris, 1936.
- André Malraux, L'Espoir, Gallimard, Paris, 1937.
- Hugh Thomas, La guerre d'Espagne, Éditions Robert Laffont, édition 2003 (ISBN 2-221-08559-0).
- « La guerre d'Espagne », Historia, hors-série, 1971.
- (es) La guerra civil española, Unidad Editorial S.A., 2005 (ISBN 84-96507-64-5).
- La guerre d'Espagne, coédition : BDIC-Berg International, 2003 (ISBN 2-911289-54-4).
- (es) Manuel Rubio Cabeza, Diccionario de la guerra civil española, Editorial Planeta, Barcelona, 1987 (ISBN 84-320-5860-2).
- Jean Descola, Ô Espagne, Éditions Albin Michel, 1976 (ISBN 2-226-00314-2).
- Joseph Pérez, Histoire d'Espagne, Fayard, 1996 (ISBN 2-213-03156-8).
- Bartolomé Bennassar, Franco, Paris, Perrin, coll. « Tempus », (1re éd. 1995) (ISBN 978-2-262-01895-5).
- Bartolomé Bennassar, la Guerre d’Espagne et ses lendemains, Paris, Perrin, , 548 p. (ISBN 2-262-02001-9)
- Andrée Bachoud, Franco, ou la réussite d'un homme ordinaire, Paris, Fayard, , 530 p. (ISBN 978-2213027838)
- Guy Hermet, la Guerre d’Espagne, Paris, Éditions du Seuil, (ISBN 2-02-010646-9)
- (es) Stanley G. Payne et Jesús Palacios, Franco. Una biografía personal y política, Barcelona, Espasa, , 813 p. (ISBN 978-84-670-0992-7)
- (es) Paul Preston, Franco : Caudillo de España, Barcelone, Grijalbo, (ISBN 978-84-253-2498-7).
- (es) Paul Preston (trad. Teresa Camprodón et Diana Falcón), Franco : Caudillo de España, Debolsillo, , 1030 p. (ISBN 9788497594776)
- (es) Carlos Fernández Santander, El general Franco, Barcelone, Argos Vergara, (ISBN 978-84-7178-575-6)
Liens externes
- Andrée Bachoud, « Guerre civile. Mythes et propagandes. L'exemple des cadets de l'alcazar », Matériaux pour l'histoire de notre temps, no 70, , p. 7-11 (lire en ligne)