

Un technical ou pick-up armé est une automitrailleuse artisanale, caractéristique des armées irréguliÚres. Ce type de véhicule a été utilisé à l'origine en Afghanistan.
Dénomination
[modifier | modifier le code]L'appellation technical semble avoir Ă©tĂ© inventĂ©e pendant les opĂ©rations des Nations unies en Somalie au dĂ©but des annĂ©es 1990. Les membres des organisations non gouvernementales intervenant dans le pays ne pouvant porter dâarmes et devant rester neutres, ils recourent Ă des gardes locaux dotĂ©s de pick-up armĂ©s pour assurer leur protection. Ne pouvant pas non plus dire ouvertement quâils financent des milices, ils recourent alors aux euphĂ©mismes technical support (« soutien technique ») ou technical advisers (« conseillers techniques ») pour dĂ©signer ces embauches dans leurs budgets[1].
Ces vĂ©hicules sont Ă©galement dĂ©signĂ©s de maniĂšre moins familiĂšre comme « vĂ©hicules de combat improvisĂ©s », tandis que dans la nomenclature des forces armĂ©es des Ătats-Unis, ils sont officiellement dĂ©signĂ©s par lâappellation non-standard tactical vehicles (« vĂ©hicules tactiques non-standard »)[2].
Historique
[modifier | modifier le code]Mûrissement du concept
[modifier | modifier le code]Les premiers technicals apparaissent en Palestine Ă la fin des annĂ©es 1960, mais le concept mĂ»ri surtout Ă partir du milieu des annĂ©es 1970 pendant la guerre du Liban[3]. Le succĂšs du technical au Liban est liĂ© Ă plusieurs facteurs. Dâune part les diffĂ©rentes factions nâont guĂšre de difficultĂ©s Ă se procurer et Ă entretenir des vĂ©hicules civils et des armes lourdes, alors que lâacquisition et lâentretien de blindĂ©s est difficile. Dâautre part la majoritĂ© des combats se dĂ©roulent en milieu urbain, oĂč les blindĂ©s ont non seulement du mal Ă manĆuvrer, mais sont aussi vulnĂ©rable aux attaques de fantassins armĂ©s de RPG-7, dâautant que la plupart des factions nâont pas de combattants entraĂźnĂ©s Ă opĂ©rer avec des blindĂ©s. Rapides, manĆuvrables et assez discrets, les technicals sont mieux adaptĂ©s Ă ce terrain, et lâutilisation de canons antiaĂ©riens leur permet de riposter plus efficacement que la plupart des blindĂ©s aux attaques venant des Ă©tages supĂ©rieurs des bĂątiments[4].
Le technical fait peu de temps aprĂšs son apparition en Afrique du Nord, alors que la cavalerie lĂ©gĂšre caractĂ©ristique de ces rĂ©gions se motorise. Ce type de vĂ©hicule, mobile et endurant, se prĂȘte en effet bien Ă la pratique des raids et aux tactiques dâattaque-repli[5]. Leur importance se reflĂšte dans le nom donnĂ© Ă la derniĂšre phase de la guerre entre le Tchad et la Libye au milieu des annĂ©es 1980 : la guerre des Toyota. Lâutilisation par les Tchadiens de nombreux pick-up armĂ©s pour harceler lâarmĂ©e libyenne leur permet de mettre en dĂ©route celle-ci, pourtant bien mieux Ă©quipĂ©e[6].
SuccĂšs et limites du concept
[modifier | modifier le code]Dans les dĂ©cennies suivantes, le technical devient un symbole de puissance pour les seigneurs de guerre en Afrique[7]. NĂ©anmoins, dans les annĂ©es 1990 pendant la guerre civile somalienne leurs limites apparaissent : les forces de lâONUSOM disposant de la maĂźtrise totale du ciel et leurs rĂšgles dâengagement leur permettant de tirer Ă vue sur les technicals, ceux-ci disparaissent rapidement du conflit, les chefs somaliens prĂ©fĂ©rant ne pas les exposer inutilement[8]. Pour les mĂȘmes raisons, lâutilisation des technicals au cours des guerres des annĂ©es 1990 en TchĂ©tchĂ©nie et dans les Balkans reste limitĂ©e. Les Balkans se distinguent nĂ©anmoins par deux aspects : dâune part, par lâutilisation de tracteurs et de camions plutĂŽt que de pick-up et, dâautre part, par les premiĂšres utilisations documentĂ©es de blindage improvisĂ© installĂ© sur des technicals[9].
En Afghanistan, les Talibans font un usage important des technicals durant les guerres des annĂ©es 1990, en reproduisent les manĆuvre de la guerre Toyota[9]. Ils utilisent principalement des pick-up GMC et Toyota Hilux et disposent en 1998 de plus de quatre cents de ces derniers, quâils surnomment Ahu (« cerf »)[10].
Plus récemment lors de l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022 de nombreuses images de technicals ont été aperçus du cÎté russe comme ukrainien[11].
Description
[modifier | modifier le code]Un technical rĂ©sulte de la modification d'un vĂ©hicule civil comme un vĂ©hicule tout-terrain ou un camion, sur lequel est montĂ© une mitrailleuse lourde, un mortier ou un lance-roquettes. Les vĂ©hicules civils Ă©quipĂ©s dâun blindage improvisĂ© mais non armĂ©s ne sont pas des technicals, ni les vĂ©hicules non-civils Ă lâorigine, bien quâen pratique quelques cas de vĂ©hicules militaires fortement modifiĂ©s de maniĂšre artisanales se situent dans une zone grise. La plupart des technicals ne sont pas blindĂ©s, mais cette pratique sâest dĂ©veloppĂ©e au cours des annĂ©es 2010, notamment en Syrie et en Irak[12].
Véhicules tout terrain rencontrés
[modifier | modifier le code]- Toyota Land Cruiser
- Toyota Hilux (ces deux véhicules furent si utilisés au cours de la derniÚre partie du conflit tchado-libyen qu'elle est souvent surnommée la guerre des Toyota)
Armement
[modifier | modifier le code]Mitrailleuses et canons
[modifier | modifier le code]Les mitrailleuses et les canons automatiques sont lâarmement le plus courant des technicals. Elles peuvent ĂȘtre montĂ©es sur un support dĂ©diĂ©, mais il est Ă©galement frĂ©quent quâelles soient installĂ©es de maniĂšre plus improvisĂ©es sur un trĂ©pied boulonnĂ© plus ou moins solidement au plancher du vĂ©hicule et calĂ© par des sacs de sable. Les mitrailleuses lĂ©gĂšres et intermĂ©diaires sont efficaces contre les fantassins et les vĂ©hicules lĂ©gers, tandis que les mitrailleuses lourdes et les canons, outre leur pouvoir destructeur contre ces cibles, sont Ă©galement redoutables contre les hĂ©licoptĂšres, les fortifications lĂ©gĂšres et les blindĂ©s lĂ©gers[13]. La puissance de ces armes peut toutefois les rendre dangereuses pour les utilisateurs quand elles sont montĂ©es de maniĂšre artisanale sur des vĂ©hicules inadaptĂ©s Ă cet usage[14].
Dans les armes lĂ©gĂšres, les plus frĂ©quentes sont des armes soviĂ©tiques comme les Kalachnikov PK et PKM ainsi que leur Ă©quivalent modernisĂ©, la Petcheneg, toutes de calibre 7,62 mm. En Afrique, notamment en Somalie, peuvent Ă©galement se rencontrer des armes plus anciennes comme la SG-43 ou la SGM. Il arrive Ă©galement de rencontrer des armes de rĂ©emploi, comme la PKT, qui est normalement prĂ©vue pour ĂȘtre utilisĂ©e comme mitrailleuse coaxiale dans les chars et nâa pas de crosse. Les copies chinoises de ces armes sont Ă©galement trĂšs courantes[15]. Les technicals des forces spĂ©ciales occidentales ou les milices armĂ©es par ceux-ci utilisent leurs propres mitrailleuses lĂ©gĂšres, gĂ©nĂ©ralement la FN MAG de 7,62 mm et la FN Minimi de 5,56 mm[16].
Les mitrailleuses lourdes sont elles-aussi le plus souvent soviétiques ou leurs copies chinoises ou iraniennes. La plus fréquente est la DShK de 12,7 mm. Ses versions plus récentes, la NSV soviétique et la M02 serbe, sont plus rares, mais peuvent se voir en Syrie chez les milices soutenues par la Russie[16]. La mitrailleuse KPV de 14,5 mm et le canon de 23 mm sont également fréquents, le plus souvent avec des affûts multiples comme le ZPU-2 ou ZU-23-2. Bien moins fréquents, des canons S-60 de 57 mm sont parfois aussi utilisés[14]. Les mitrailleuses lourdes occidentales sont beaucoup plus rares. La plus utilisée est la mitrailleuse M2 de 12,7 mm, qui peut se rencontrer occasionnellement chez les milices en Somalie, en Libye et au Liban. Elle est aussi la principale mitrailleuse lourde utilisée par les technicals des forces occidentales[16].
Armes antichar
[modifier | modifier le code]La principale arme antichar visible sur les technicals est le canon sans recul. Du fait de leur longueur, la cabine des vĂ©hicules porteurs est gĂ©nĂ©ralement supprimĂ©e. Les modĂšles les plus frĂ©quemment employĂ©s sont le SPG-9 de 73 mm, le B-10 et sa copie chinoise, le Type 65, de 82 mm ainsi que le M40 amĂ©ricain de 106 mm. Tirant des projectiles Ă charge creuse, ces armes, bien que pouvant paraĂźtre dĂ©passĂ©es, constituent une menace sĂ©rieuse. Elles peuvent dĂ©truire les chars de conception ancienne comme le T-55 et mĂȘme les blindĂ©s modernes occidentaux peuvent ĂȘtre endommagĂ©s, voire dans certaines conditions dĂ©truits, par celles-ci. Elles sont en outre trĂšs efficaces contre les positions fortifiĂ©es et les constructions en milieu urbain[17].
Lâutilisation de lance-missiles antichars est considĂ©rablement plus rare. En effet, outre le coĂ»t plus Ă©levĂ© des missiles, leurs lanceurs sont des armes plus perfectionnĂ©es qui demandent un savoir-faire et une maintenance appropriĂ©e, deux choses faisant souvent dĂ©faut dans les milices. Des lance-missiles Sager ont toutefois Ă©tĂ© montĂ©s sur des Land Cruiser au Sahara occidental dans les annĂ©es 1970 et, plus rĂ©cemment, des TOW et leur copie iranienne ont Ă©tĂ© utilisĂ©s en Syrie. En revanche lâinstallation de missiles Milan sur des technicals pendant la guerre des Toyota est vraisemblablement une lĂ©gende urbaine[18].
Artillerie
[modifier | modifier le code]La principale forme dâartillerie utilisĂ©e sur les technicals est le lance-roquettes multiple. Les lanceurs peuvent ĂȘtre fait pour un usage terrestre, comme le Type 63 chinois comptant douze tubes de 107 mm, mais il est Ă©galement frĂ©quent que des paniers de roquettes dâaviation soient utilisĂ©s, comme lâUB-32-57 soviĂ©tique avec 32 tubes de 57 mm[18].
Position des constructeurs
[modifier | modifier le code]Lâutilisation de vĂ©hicules civils dans des conflits armĂ©s, souvent par des groupes classĂ©s comme terroristes, met leurs constructeurs dans des situations dĂ©licates. En 2001 aprĂšs les attentats du 11 septembre, lâintĂ©rĂȘt pour les Talibans et Al-QaĂŻda fait que la tĂ©lĂ©vision diffuse de maniĂšre rĂ©currente en Occident des images de Toyota armĂ©s utilisĂ©s par les terroristes. Cette situation force la marque japonaise Ă dĂ©clarer quâelle nâa exportĂ© lĂ©galement en Afghanistan quâun seul Land Cruiser dans les cinq derniĂšres annĂ©es et quâelle nâa donc pas de responsabilitĂ© dans la constitution de cet arsenal[19].
La situation se rĂ©pĂšte avec lâĂtat islamique, qui lui aussi diffuse abondamment les images de ses technicals Toyota. Cela entraĂźne en 2015 lâouverture dâune enquĂȘte par le dĂ©partement du TrĂ©sor des Ătats-Unis pour Ă©claircir la maniĂšre dont les terroristes se procurent ces vĂ©hicules et si les constructeurs profitent de la situation pour sâenrichir[20].
Références
[modifier | modifier le code]- â Neville 2018, p. 4-5.
- â Neville 2018, p. 4.
- â Neville 2018, p. 12.
- â Neville 2018, p. 14.
- â Neville 2018, p. 15.
- â Neville 2018, p. 17.
- â Neville 2018, p. 20.
- â Neville 2018, p. 22, 24.
- Neville 2018, p. 25.
- â Neville 2018, p. 25-26.
- â (en) « Russia reportedly using ISIS-style pickup trucks in Ukraine », sur Washington Examiner, (consultĂ© le )
- â Neville 2018, p. 7.
- â Neville 2018, p. 8-10.
- Neville 2018, p. 10.
- â Neville 2018, p. 8.
- Neville 2018, p. 9.
- â Neville 2018, p. 10-11.
- Neville 2018, p. 11.
- â Neville 2018, p. 27-28.
- â Maxime Brigand, « EnquĂȘte autour de Toyota et ses vĂ©hicules utilisĂ©s par Daech », Le Figaro,â (ISSN 0182-5852, lire en ligne, consultĂ© le )
Annexes
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- (en) Leigh Neville, Technicals : Non-Standard Tactical Vehicles from the Great Toyota War to modern Special Forces, vol. 257, Oxford, Osprey Publishing, coll. « New Vanguard », , 49 p. (ISBN 978-1-4728-2251-2).
